
Les États-Unis vont bientôt devoir gérer leurs premiers réfugiés climatiques, avec la disparition de villages entiers en Alaska. A l’échelle mondiale, près de 500 millions de personnes pourraient être obligées de migrer d’ici 2050. En cause, les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique : des régions entières seront sans doute rayées de la carte. Face à l’urgence, les institutions internationales trainent à définir un statut pour ces réfugiés. Alors que les partis d’extrême droite instrumentalisent déjà la peur de ces nouveaux flux migratoires.
Il ne reste que quatre ans aux 350 habitants de Newtok, en Alaska, avant que leur village ne disparaisse. Il sera alors noyé par la montée des eaux et victime de la fonte du permafrost, ce sol des régions froides gelé en profondeur [1].
Selon le quotidien britannique The Guardian, qui raconte l’histoire de ces « premiers réfugiés climatiques américains », l’érosion dévore la côte à la vitesse terrifiante de 27 mètres par an. Alors que la concentration de CO2 dans l’air vient d’atteindre un record, 150 millions de personnes dans le monde vivent dans des zones susceptibles de disparaître sous les flots d’ici la fin du siècle.
« Avant même d’avoir les pieds dans l’eau, les habitants doivent quitter des endroits dans lesquels ils ne peuvent plus vivre, décrit Raoul Kaenzig, doctorant en géographie à l’université de Neuchâtel, en Suisse. La salinisation des nappes phréatiques proches des côtes les rend impropres à la consommation, et les terres impossibles à cultiver. Cette conséquence du réchauffement climatique entraine des exodes définitifs. Le phénomène est irréversible. »
Des régions rayées de la carte
La réalité des réfugiés climatiques est cependant bien plus vaste. (...)
« Les mouvements de population déclenchés par des facteurs climatiques ont lieu avant tout pour de courtes durées, sur de courtes distances, à l’intérieur des États, et dans une moindre mesure, entre États limitrophes », décrit Christel Cournil, juriste et maître de conférence en droit public à l’Université de Paris 13. « Ces migrations intra-étatiques peuvent être périurbaines, régionales, circulaires, saisonnières. Ajoutons que les gens ne décident jamais de fuir pour une seule et même raison. »
Aux facteurs climat, s’ajoutent également des causes économiques, politiques ou familiales. Autant d’éléments qui rendent la définition même de « réfugié climatique » très complexe. (...)
Reste à choisir les mots. Et le cadre juridique. Va-t-on parler de migrants, de déplacés ou de réfugiés ? Climatiques ou environnementaux ? Pourquoi ne pas ajouter un article dédié dans la convention de Genève, qui encadre le statut des réfugiés ? « Cette convention ne garantit de protection qu’aux personnes ayant franchi une frontière », relève Christel Cournil. En 2005, « l’appel de Limoges », signé par des scientifiques et des universitaires, a accompagné un projet de Convention internationale sur les déplacés environnementaux (lire notre article).
L’enjeu de cette Convention est de garantir une protection interne et internationale des « déplacés environnementaux ». Un terme qui comprend non seulement les réfugiés liés aux changements climatiques mais aussi ceux qui sont contraints à l’exil du fait de catastrophes écologiques, qu’elles soient naturelles, technologiques ou industrielles.
Pour Michel Prieur, spécialiste français du droit de l’environnement et co-initiateur de cet appel, la seule solution est la création d’une organisation mondiale environnementale spéciale, doublée d’une haute autorité indépendante et d’un fonds financier. (...)
Finalement, c’est en Afrique qu’a été signé le premier texte inter-étatique contraignant sur le sujet. La Convention de Kampala sur la protection et l’assistance des personnes déplacées en Afrique, entrée en vigueur en 2012, « est dotée d’un article sur les déplacements internes liés aux changements climatiques et catastrophes naturelles », note Christel Cournil.
Qu’est-ce que cela permet ? La garantie du respect de leurs droits : notamment l’accueil sans discrimination, l’assistance humanitaire, ou la délivrance de documents d’identité. Paulo Iles soutient cette nécessité d’un droit spécifique, soulignant que « les migrants politiques ou économiques peuvent retourner chez eux quand la situation change. Les migrants climatiques n’ont pas cette possibilité. »
Mais cette définition différentielle comporte des risques, dont celui d’établir une hiérarchie entre les réfugiés. (...)
Selon les Nations Unies, 500 millions de personnes pourraient migrer d’ici 2050 pour cause d’inondations, de dégradation des sols, de catastrophes naturelles ou encore de déforestation et d’accidents industriels.