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Discriminer par la langue
Article mis en ligne le 24 octobre 2018
dernière modification le 21 octobre 2018

Le langage est dans notre société un instrument de domination et de discrimination puissant et méconnu. Imposer sa langue comme la seule convenable, estimable, raisonnable, et mépriser, disqualifier, rejeter une personne pour sa façon de parler, son accent ou son vocabulaire, c’est aussi illégitime que la rejeter pour sa religion, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle – autant de discriminations plus ou moins reconnues et punies par la loi en France.

Les discriminations fondées sur la langue demeurent pourtant largement ignorées, alors qu’elles affectent des milliers de personnes (en lien bien entendu avec la xénophobie, le racisme et le mépris de classe), et alors que Jean-Luc Mélenchon, imitant avec morgue et mépris l’accent du Sud Ouest d’une journaliste qui l’interrogeait, en a donné, cette semaine, une illustration affligeante. Le livre du linguiste Philippe Blanchet donne un nom à cette discrimination linguistique : glottophobie, et il attire l’attention sur ses – lourdes – conséquences humaines et sociales. Il démonte, exemples à l’appui, les mécanismes de la glottophobie, pour mieux la révéler, la dénoncer et ainsi la combattre. En guise de présentation de ce travail, voici quelques extraits de son introduction.(...)

L’objectif de ce livre est d’attirer l’attention, les vigilances et les combats contre les discriminations linguistiques et leurs conséquences humaines et sociales, qui sont profondes, massives et dramatiques. Pour susciter cet intérêt, il s’agit dans un premier temps [1] de proposer une conception des langues et des pratiques linguistiques qui permette d’en saisir les dimensions humaines, sociales, éthiques et politiques, ainsi que des notions utiles à la compréhension et donc à l’identification des discriminations linguistiques, notamment la notion centrale de glottophobie. Il faut, dans un deuxième temps [2], tâcher de comprendre comment, pourquoi, par quels moyens s’est développée et se maintient dans de nombreuses sociétés, notamment en France, cette glottophobie banalisée, acceptée, légitimée. (...)

Langage et pouvoir

Les pratiques linguistiques, les langues, parce que ce sont phénomènes sociaux clés, sont des enjeux de pouvoir : ce sont des objets sur lesquels s’exercent du/des pouvoir(s) et des conflits de pouvoir. Il n’est pas possible de faire ici la liste des innombrables exemples de revendications, de débats, de tensions, de conflits, de despotismes, de révoltes, d’ethnocides et de génocides, fondés sur des enjeux linguistiques ou liés à ces enjeux (pas exclusivement linguistiques mais presque toujours partiellement, et souvent très fortement, linguistiques) : les politiques linguistiques en sont des reflets significatifs.(...)

Pierre Bourdieu a magistralement montré dans Ce que parler veut dire à quel point dans diverses sociétés, dont la société française au premier chef, cultiver une distinction linguistique et l’accumuler sous forme d’un capital linguistique est clairement un moyen d’imposer et de maintenir un pouvoir qui n’est pas que symbolique, linguistique et culturel, mais aussi économique et politique. (...)