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Distribuer de la mal-bouffe aux pauvres tout en défiscalisant : les dérives de l’aide alimentaire
Article mis en ligne le 9 septembre 2020

L’aide alimentaire, dont dépendent des millions de personnes en France, repose sur un vaste système de défiscalisation encourageant la surproduction. Pire, certaines grandes surfaces se débarrassent de denrées inutilisables auprès d’associations caritatives, tout en bénéficiant de réductions d’impôts.

Chaque année, l’État consacre près de 500 millions d’euros pour l’aide alimentaire, permettant aux familles les plus démunies de ne pas rester le ventre vide. 75 % de ces aides publiques sont des ristournes fiscales, qui bénéficient en premier lieu aux grandes surfaces. Celles-ci sont ainsi subventionnées pour faire des dons. Elles ont en plus la mauvaise habitude de distribuer aux organisations caritatives des denrées proches de leurs dates de péremption.

Quatre mois après le déconfinement, le Secours populaire français redoute « un raz de marée de la misère ». L’activité de ses comités locaux n’a pas diminué depuis le 11 mai, au contraire. Beaucoup de familles en grande difficulté n’ont toujours pas repris le travail et voient les factures s’accumuler. (...)

« Produire trop et aider le système agro-industriel à écouler ce trop »

L’organisation de l’aide alimentaire implique divers acteurs allant des associations humanitaires à l’État, en passant par les industries agroalimentaires, des entreprises et des particuliers. Le dispositif français repose ainsi sur 200 000 bénévoles. C’est aussi un vaste marché économique. Les ressources publiques liées à l’aide alimentaire sont évaluées à 476 millions d’euros, selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales [2]. Les trois-quarts, soit 361 millions d’euros, sont constitués de réductions d’impôts accordées aux particuliers et aux entreprises pour leurs dons alimentaires.

C’est au détour d’une réunion au ministère de l’Agriculture, en 2009, que Jean-Claude Balbot, éleveur aujourd’hui à la retraite mais toujours engagé au sein des Civam – Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural – découvre les dessous de l’aide alimentaire. Les syndicats agricoles bataillent alors pour la faire inscrire comme activité agricole dans le code rural. C’est chose faite dans la loi d’orientation agricole adoptée en 2010. « L’argument était de dire : "Pour produire assez, il faut produire trop et aider le système agro-industriel à écouler ce trop". » (...)

Comment la grande distribution profite de l’aide alimentaire sur le dos des plus précaires

La défiscalisation de l’aide alimentaire profite en premier lieu aux grandes et moyennes surfaces. Avec la loi Garot adoptée en 2016 visant à lutter contre le gaspillage alimentaire, les supermarchés se sont vu interdire de mettre de la javel dans leurs bennes – pour rendre inconsommable les produits jetés – sous peine de sanction. Cette pratique de « javellisation » visait, notamment, à éviter que des personnes dans le besoin ne récupèrent la nourriture dans un contexte où la loi obligeait les invendus des supermarchés à être jetés. Suite à la loi Garot, les distributeurs ont donc augmenté leurs dons alimentaires auprès des associations caritatives, et profitent par là-même de la défiscalisation [3]. À peine trois ans après l’adoption de cette loi, la qualité des denrées collectées auprès des grandes surfaces serait à la baisse, épingle l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). L’initiateur de cette loi, le député Guillaume Garot, reconnaît lui même, dans un rapport publié en 2019, l’absence de contrôle public sur la qualité des denrées données. (...)

« La loi revient à autoriser à nourrir les pauvres avec ce qui était destiné à être jeté »

Les associations ne peuvent trier les denrées sur le lieu de réception, sous peine de voir l’entreprise s’adresser à un autre interlocuteur. En l’occurrence, de nouveaux intermédiaires, comme la start-up Phénix, sont apparus. Ils proposent aux grandes et moyennes surfaces des débouchés pour leurs invendus, dont ils assurent parfois eux-mêmes l’acheminement logistique vers les associations. (...)

Les aliments, s’ils perdent leur valeur marchande parce qu’ils sont moins frais, moins beaux ou moins bons, retrouvent donc une valeur fiscale grâce à ce système. (...)

Comme le souligne le rapport de l’IGAS, les protéines animales sont surreprésentées dans les dons alimentaires, de même que les acides gras saturés. Une enquête publiée en 2012 a relevé une prévalence de l’obésité chez les bénéficiaires de l’aide alimentaire, avec un taux alarmant pour les femmes de 35% [4]. L’hypertension artérielle ainsi que les anémies suivent également des courbes inquiétantes, note Bénédicte Bonzi. « Des conseils de nutrition sont adressés aux bénéficiaires de l’aide alimentaire par l’État », poursuit-elle. Cette injonction illustre à ses yeux la violence structurelle. « L’État ne garantit pas l’accès à une alimentation variée et équilibrée mais demande à celui qui reçoit l’aide de prendre soin de sa santé. »
De l’absence de qualité aux fraudes sur les steaks hachés (...)

Aux dons d’entreprises et de particuliers qui composent l’aide alimentaire s’ajoutent des appels d’offre réalisés dans le cadre du Fonds d’aide européen aux plus démunis (FEAD). Aucun critère relatif à la qualité des produits ne figure dans ces appels, dont l’élaboration est déléguée à FranceAgriMer, établissement public sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Selon l’IGAS, les volumes demandés et les capacités logistiques nécessaires ne permettent pas aux producteurs de répondre. Ces appels d’offre favorisent au contraire l’accroissement d’intermédiaires, un rallongement des circuits et l’arrivée de traders aux pratiques parfois peu scrupuleuses. (...)

« Tous les acteurs savent que la qualité ne sera pas au rendez‑vous. Plus grave encore : personne ne peut aujourd’hui déterminer l’origine de la viande contenue dans les steaks hachés distribués dans le cadre du marché public incriminé. »