
Ivan Astachine est un militant de Russie, ancien prisonnier politique, auteur pour des médias comme Novaya Gazeta et The Insider, et signataire de l’appel à libérer Azat Miftakhov. Le texte qui suit, rédigé peu après sa libération, explique de la pratique punitive dite de la « surveillance administrative » qu’il a subi et qui risque d’être infligée à Azat dès la fin de sa peine de prison ferme.
Le 21 septembre 2020, j’ai fini de purger ma peine dans une prison de haute sécurité. 9 ans et 9 mois de la première sonnerie à la dernière. Cependant, l’État ne vous relâche pas comme ça. Il considère qu’il est de son devoir d’infliger une deuxième peine à ceux qui sont comme moi. Une peine de surveillance administrative.
Peu avant ma libération, une telle procédure a été mise en œuvre. Suite à une plainte déposée par le directeur de la prison, le tribunal du raïon Sovetski de Krasnoïarsk m’a prescrit 8 ans de surveillance administrative.
J’ai fait appel de cette décision, c’est pourquoi elle n’est pas encore appliquée. Mais tôt ou tard, l’appel sera jugé et je me retrouverai dans la cage de la surveillance administrative.
Surveillance administrative. Histoire du phénomène. (...)
La surveillance administrative, c’est une restriction des libertés et des droits civils infligée à certaines catégories de détenus ayant fini de purger leur peine.
La loi sur la surveillance administrative a été adoptée en 2011. (...)
Quelqu’un a commis un crime, il s’est pris une peine de prison, il la purge, il la purge, et là, paf ! une nouvelle loi qui sort : à sa libération, il se prendra du rab’. Super, non ? On se croirait sous Staline !
Le plus intéressant, c’est que ce principe, celui d’une loi rétroactive qui augmente la peine d’un détenu, n’est reconnu ni par le droit international, ni par le droit russe, que ce soit dans la constitution (art. 54-1) ou dans le code pénal (art. 10-1). Mais cela ne retient personne. Depuis quand notre constitution retient-elle les tribunaux ? Sans parler de « l’imprimante folle » [2] de la Douma d’État. (...)
En gros, tu ne respectes pas la surveillance, tu vas en prison. Tu sors de prison, et on te remet sous surveillance. Et on peut passer sa vie comme ça ! (...)
La question qui se pose est « que faire ? »
Moi, je sais quoi faire. Vivre et lutter. Je m’adresserai à la Cour européenne : c’est le seul instrument légal relativement efficace accessible aux citoyens de Russie. Au moins, je pourrai arracher à l’État une compensation. Ce serait triste, bien entendu, si j’apprenais la décision de la CEDH lors d’un nouveau séjour en prison pour avoir enfreint les règles de la surveillance… Mais personne n’a dit que ce chemin serait simple. (...)
Je partage ici ces réflexions pour attirer l’attention de la société sur ce problème. Oui, lutter contre l’État est très difficile. Mais on ne peut pas rester sans rien faire. On vit déjà dans un grand pénitencier.
Ivan Astachine