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Du développement social à la protection sociale : quel progrès ?
Article mis en ligne le 22 décembre 2013
dernière modification le 18 décembre 2013

Après vingt ans de « lutte contre la pauvreté », les organisations internationales du développement proposent des politiques de protection sociale universelle. Est-ce un progrès ?

Cette protection sociale signifie-t-elle un retour au « développement social » des années 1970 ? Va-t-elle au-delà de la réduction de la pauvreté ? Constitue-t-elle une rupture avec les politiques néolibérales ?

Quand, en 1968, Robert McNamara devient président de la Banque mondiale (Bm) – après avoir été ministre de la défense dans les gouvernements de Kennedy et de Johnson aux États-Unis –, il constate que les progrès en matière de développement ne sont pas particulièrement spectaculaires. Il commande un rapport indépendant sur le bilan de vingt ans d’aide au développement et des propositions pour une stratégie globale pour les années 1970.

Le rapport Pearson |1| est publié en 1969. Il constate que le développement est bien plus que l’économie et le progrès matériel. Le développement est une « obligation morale » mais il est aussi dans « l’intérêt bien compris de la communauté internationale ». Il prône une sécurité sociale afin de réduire la dépendance des familles en tant que seule source de sécurité. Voilà une nouvelle priorité pour une stratégie de développement. De même, il souligne l’importance de l’éducation des femmes, mais seulement si on réussit de cette façon à modifier leurs attitudes et leurs ambitions.

En cette même année 1969, l’Assemblée générale de l’ONU adopte une déclaration sur le « développement et le progrès social » |2|. Elle énumère toutes les politiques déjà reprises dans le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, adopté en 1966 et elle se dit convaincue que « l’homme ne peut satisfaire pleinement ses aspirations que dans un ordre social juste et qu’il est, par conséquent, d’une importance capitale d’accélérer partout dans le monde le progrès social et économique, contribuant ainsi à assurer la paix et la solidarité ». (...)

Au début des années 1970, différentes organisations internationales essaient de mettre en route une « décennie du développement social », mais le début de la crise en 1973 – fin de la convertibilité du dollar et triplement du prix du pétrole – bloque tout progrès.

Il va falloir attendre 1990 pour que la Banque mondiale mette la pauvreté à l’ordre du jour international et que le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) publie son premier rapport sur le « développement humain » |3|. Après une décennie « d’ajustement structurel » et ses conséquences sociales dramatiques, le développement change effectivement de direction. Le développement économique redevient une « mono-économie » |4| et le développement social devient une « réduction de la pauvreté » |5|.

Après une décennie de théorisation sur la pauvreté et les pauvres, en 1999 et 2000 deux stratégies parallèles sont mises en place pour « réduire la pauvreté extrême » : les « Documents stratégiques de réduction de la pauvreté (Dsrp), par la Banque mondiale et le Fmi (Fonds monétaire international), d’une part, et les « Objectifs du millénaire pour le développement » (Omd), par l’Onu, d’autre part.

Aujourd’hui, vingt ans plus tard, force est de constater que les deux stratégies ont échoué (...)

Certes, il serait erroné d’attribuer cet échec exclusivement aux politiques néolibérales. Les multiples erreurs des gouvernements du Nord et du Sud, le manque ou l’inefficacité de l’aide au développement et les fuites de capitaux sont également responsables de la grande pauvreté en Afrique subsaharienne. Toujours est-il que les stratégies de lutte contre la pauvreté étaient parfaitement compatibles avec les politiques néolibérales et n’ont jamais été orientées vers un changement quelconque. (...)

En fait, les politiques de réduction de la pauvreté ne visent pas à améliorer les politiques de protection sociale, mais sont une alternative à celles-ci. Dans ce sens, elles constituent une rupture par rapport à l’idéal de la modernisation sociale qui était consubstantiel au projet de développement. Dans cette nouvelle philosophie, il ne s’agit plus de changer les attitudes et les comportements, mais tout au plus de mieux les connaître. Le problème des prestations sociales, dit-on alors, est qu’elles risquent de changer le comportement des pauvres |12|. Chaque projet en faveur des pauvres doit commencer par une étude de leurs comportements |13|. Au niveau des pauvres eux-mêmes, il s’agira de mieux gérer les risques.

Bref, le discours sur la pauvreté concerne plus le bien-être des individus dans le sens d’une garantie d’un socle de survie que l’idéal du développement et de la modernisation promus par l’État.

C’est pourquoi il convient de bien analyser les nouveaux discours sur la protection sociale. Quel est leur objectif ? Quelle est leur portée ? S’agit-il d’un retour au passé et d’un projet de développement social ? (...)

Les différentes propositions ont certes un réel potentiel de se développer en protection sociale universelle. Les chances sont minimes pour la Banque mondiale, mais, pour l’Oit et pour la Commission européenne, les textes ne l’excluent pas.
Cela dit, l’accent mis sur l’utilité économique de la protection sociale, ainsi que sur la nécessité de donner la priorité aux « plus nécessiteux », instillent le doute sur les véritables objectifs.

Quoi qu’il en soit, il n’y a que la mise en œuvre de ces propositions qui puisse donner la réponse définitive. C’est pourquoi il est essentiel qu’elles soient bien connues des acteurs nationaux et surtout des mouvements sociaux. Ce n’est que dans la mesure où ceux-ci pourront faire pression sur les gouvernements que ces nouvelles politiques pourront intégrer des mesures favorisant la sécurité économique et sociale, une protection dont tous les peuples ont besoin, où qu’ils vivent. Une protection sociale véritable doit être au service de l’ensemble de la société et mettre fin aux processus d’appauvrissement. (...)

Les « communs sociaux » constituent aussi un projet transformateur, ce qui veut dire que leur mise en œuvre requiert des changements dans d’autres secteurs sociaux et ne peut en être dissociée. C’est vrai tout d’abord pour l’économie, qui devra être réorganisée afin de satisfaire les besoins de tous, en mettant l’accent sur la valeur d’usage et le travail non spoliateur. C’est vrai également pour la démocratie, qui nécessitera une participation plus large des citoyens dans différents secteurs. Les frontières des « communs sociaux » restent ouvertes. Ils commencent avec l’arrêt des processus d’appauvrissement et peuvent déboucher sur la production, la consommation et la prise de décision.

Tout comme le concept du buen vivir (bien vivre) d’Amérique latine, les « communs sociaux » défendent la vie individuelle et la vie collective, ainsi que la nature. Il s’agit du droit des sociétés de s’organiser et de décider de la façon dont elles veulent vivre. C’est un concept intégrateur qui veut donner aux peuples et aux sociétés de la sécurité sociale et économique afin de satisfaire les besoins matériels et immatériels. Il s’agit d’une approche holistique qui offre du pain et des roses.

Voilà un projet qui peut être utile à la gauche qui veut sortir des sentiers battus et réellement construire « un autre monde ».