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Éducation nationale : quelques remèdes de cheval pour dégraisser le mammouth
Article mis en ligne le 11 juin 2013

À l’occasion de la remise récente au gouvernement de deux rapports sur l’Éducation nationale et sa gestion – celui de la Cour des Comptes et celui de la médiatrice de l’Éducation nationale –, certains médias en profitent pour accabler les enseignants en relayant et en amplifiant les préjugés les plus communs à leur égard, et pour livrer, plus ou moins subtilement, leurs solutions pour redresser une école publique dont ils dressent un tableau apocalyptique…

Le poids des maux…

Et d’abord, quoi de mieux pour appâter le lecteur qu’un titre sinon accrocheur du moins racoleur, en tout cas toujours réducteur ? (...)

les gros titres des articles, qui visent à faire sensation plutôt qu’à informer, réduisent des rapports dépassant chacun les 150 pages à un simple slogan… Sans doute ces rapports sont-ils discutables et doivent être discutés. Mais cela rend d’autant plus nécessaire de la part des journalistes un propos argumenté, fouillé et nuancé plutôt que cette suite de poncifs, pâles substituts à des analyses tant soit peu innovantes sur la question.


…Le « choc » des photos

Les illustrations photographiques de ces accroches souvent caricaturales ne sont pas en reste. En effet, tandis que sur le fond, les articles pointent un absentéisme chronique de la part des enseignants, sur la forme, plusieurs photos viennent opportunément appuyer ce constat pour lui donner plus de vraisemblance encore. (...)

c’est le « mammouth » dans son ensemble qui est visé. Et la liste des tares est longue ; fort heureusement, de vertueux journalistes sont là pour nous les rappeler.

L’enseignant, (trop) souvent absent, est un être manifestement fainéant ; comment comprendre sinon son hostilité présumée à la prise en compte de son « temps de travail réel » sur laquelle plusieurs journalistes s’attardent. L’article du Figaro daté du 22 mai est à cet égard riche d’enseignements : le titre choisi (« Les Sages pour le temps de travail réel des enseignants ») laisse entendre d’abord qu’il y aurait un temps de travail fictif qui s’y oppose et auquel les enseignants – ces planqués ! – sont très attachés. La suite n’est pas moins lourde de sous-entendus (...)

À chacun, alors d’en tirer intuitivement la conclusion qui s’impose : il faut (re)mettre les enseignants au travail. Et les plus grands experts sont appelés en renfort par l’auteur de l’article. Ainsi, Michel Didier, président de COE-Rexecode, organisation proche du patronat, « porte un diagnostic sans concession sur l’ensemble de la fonction publique. ‘Le temps de travail réel des fonctionnaires n’est pas évalué. Il y a des dérives, certains cumulant les absences. La productivité est faible.’ » Dérives, absences, faible productivité. Heureusement que certains osent dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas… (...)

Ceux qui croyaient le mammouth disparu depuis longtemps en sont pour leurs frais : l’Éducation nationale est un poids, voire un fardeau, que chacun doit supporter. Quant à imaginer que ce puisse également être un service (public), nécessaire à la formation du citoyen et au pays tout entier, il n’y a qu’un pas que les journalistes osent rarement franchir. Car ce mammouth que d’aucuns ressuscitent se caractérise surtout par sa lenteur et ses pesanteurs.

Certains clichés ont la vie dure et le plus simple pour disqualifier le monde enseignant reste de le taxer de corporatisme ou d’archaïsme, c’est selon, sans démonstration aucune mais avec la garantie que le cliché parlera au plus grand nombre. (...)

Miracle du calendrier, plusieurs études tombent à point nommé qui permettent aux journalistes, dont ceux, en pointe, du Figaro, de souligner que « Les Français (sont) attachés à la qualité de l’enseignement catholique ». (...)

Étrange coïncidence que cet engouement réaffirmé pour l’enseignement privé catholique au moment où l’enseignement public est si décrié, entre autres par les journalistes. Étrange aussi que l’on transforme en « preuve » des choses pour le moins hypothétiques : « S’ils avaient un enfant à scolariser, 43% d’entre eux affirment qu’ils souhaiteraient le faire dans l’enseignement catholique privé. » De quelle preuve peut-il s’agir et quelle valeur lui attribuer quand les répondants n’ont pas forcément d’enfant à scolariser ? Certains mauvais esprits diraient que la question ne se pose pas et des sondeurs tant soit peu scrupuleux ne devraient donc pas la poser.

Étrange, enfin, que soit pris pour argent comptant de tels « résultats » alors que le sondage est l’œuvre conjointe de OpinionWay et de…La Croix. Reste que face à une présentation si laudative du privé, chacun a compris ce qu’il lui restait à faire pour ses enfants. (...)

Il ne s’agit ici nullement de prendre position au sujet de l’immobilisme - réel ou supposé – de l’Éducation nationale, mais plutôt d’appeler des journalistes pour qui la privatisation est forcément mère de toutes les vertus à un peu de retenue : avant de « sonner la charge contre le mammouth », peut-être faudrait-il se pencher sur les corporatismes et les conformismes médiatiques ?