
Un rapport de la Fondation Mo Ibrahim pointe les défis que devra relever le continent pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire.
Après vingt mois de pandémie, le chemin de la reprise s’annonce difficile pour les Etats africains. Même si le continent comptabilise moins de victimes du Covid-19 que les pays occidentaux, il paie un lourd tribut en matière économique et sociale. (...)
D’après le dernier rapport de la Fondation Mo Ibrahim, publié lundi 6 décembre, la crise sanitaire risque notamment d’anéantir des années de progrès réalisés dans les domaines de l’éducation, des libertés civiques, de la parité et de l’accès aux soins. « La pandémie a creusé les inégalités économiques et sociales préexistantes. C’est un facteur de crise et de conflit qui risque d’aggraver des situations politiques déjà instables », prévient Nathalie Delapalme, directrice exécutive de la Fondation. (...)
En s’appuyant sur un ensemble d’indices mesurant les performances annuelles des pays dans différents domaines – de la santé à l’éducation en passant par l’Etat de droit et la sécurité –, le rapport détaille les défis que le continent doit relever en 2022. Il pointe comme préalable incontournable la vaccination contre le Covid-19. « Si on n’accélère pas la vaccination, il y a peu de chances que l’Afrique prenne le chemin de la reprise », alerte la Fondation. (...)
Or, au 18 novembre 2021, seuls 6,8 % des Africains étaient entièrement vaccinés, une proportion dix fois moins importante que dans les pays du G7. Sur les 7,6 milliards de doses de vaccin administrées dans le monde, l’Afrique n’en a reçu que 2,9 %. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait fixé comme objectif la vaccination complète de 40 % de la population des Etats du continent pour fin 2021 : seuls trois pays – les Seychelles, le Maroc et Maurice – y sont parvenus à ce jour. (...)
A ce rythme, il apparaît difficile d’envisager la vaccination de 70 % de la population africaine d’ici à fin 2022, comme le préconise l’OMS afin d’atteindre une immunité collective. Le risque en cas d’échec étant de transformer « le continent en incubateur à variants », estime Nathalie Delapalme.
Se préparer aux futures pandémies
En raison de la précarité de leur système de santé, « la plupart des pays africains ne sont pas préparés aux futures pandémies », prévient le rapport. Trente Etats ont connu une forte détérioration de l’indice concernant l’accès aux soins entre 2015 et 2019 (...)
les dépenses publiques en Afrique subsaharienne plafonnent à 1,9 % du PIB, contre 5,9 % en moyenne dans le monde, malgré l’engagement pris en 2001 à Abuja (Nigeria) par les dirigeants africains de consacrer au moins 15 % de leur budget à la santé publique. (...)
Seuls dix pays fournissent des soins de santé gratuits et universels à leurs citoyens. Or, « cela coûterait moins cher d’augmenter la prévention et la préparation que de réagir dans l’urgence », analyse Nathalie Delapalme, pour qui « il est impératif d’investir car d’autres pandémies apparaîtront ».
Assurer sa souveraineté en matière de santé
Aujourd’hui, l’Afrique représente 25 % de la demande mondiale de vaccins de routine, mais dépend à 99 % des importations pour couvrir ses besoins. De même, 95 % des médicaments proviennent d’autres continents. (...)
Les auteurs du rapport voient néanmoins dans ce déséquilibre un levier de croissance, si les Etats africains parviennent à produire leurs propres doses à destination d’un continent qui représente 18 % de la population mondiale et qui ne cessera de croître. (...)
La crise sanitaire semble avoir agi comme un accélérateur : en avril, l’Union africaine, en partenariat avec le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, a fixé l’objectif d’une production locale de 60 % des besoins annuels de vaccins classiques à l’horizon 2040. (...)
Mais, même en cas de déploiement de campagnes de vaccination massives, des millions de personnes risquent d’en être exclues faute d’existence légale. En effet, la moitié des enfants africains ne sont pas inscrits à l’état civil. Sur le continent, seuls 10 % des décès sont enregistrés, contre 90 % en Europe. (...)
Comme dans d’autres régions du monde, la crise sanitaire a pu s’accompagner d’un rétrécissement de l’espace civique. L’urgence sanitaire a ainsi servi de prétexte pour limiter les rassemblements ou manifestations contre les politiques gouvernementales ou pour réduire la liberté de presse. La Fondation note que, même si le recul des libertés, des droits et de la démocratie s’observe depuis les années 2000, il y a bien eu un avant et un après-Covid. (...)
Le rapport appelle à renforcer le commerce intrarégional, le plus faible au monde (15 % contre 67 % pour l’Europe). Le continent se prive ainsi d’un levier de croissance considérable. « En 2019, 90 % des exportations des pays africains se portaient en premier lieu hors du continent », constate la Fondation, qui espère que la Zlecaf, la plus grande zone de libre-échange au monde, en cours de création, va « révolutionner la place du continent dans l’économie mondiale ». Il faudrait pour cela faire de l’amélioration des réseaux de transport une priorité. (...)
Autre élément incontournable de la transformation économique : l’accès à l’énergie. Quelque 600 millions d’Africains ne sont toujours pas raccordés au réseau électrique. Les conséquences économiques et sanitaires sont lourdes (...)
Les Etats africains sont aussi appelés à réduire la fracture numérique afin de tirer parti d’une génération d’entrepreneurs en phase avec la nouvelle économie. (...)
Ramener les élèves à l’école et protéger les filles des violences de genre
La fracture numérique a aussi privé d’instruction à distance des millions de jeunes et d’enfants. En Afrique subsaharienne, 89 % des élèves ne disposent pas d’un ordinateur à la maison et 82 % n’ont pas d’accès Internet. Une génération de jeunes Africains a ainsi manqué en moyenne vingt-six semaines de cours. (...)
Ramener les élèves à l’école et protéger les filles des violences de genre
La fracture numérique a aussi privé d’instruction à distance des millions de jeunes et d’enfants. En Afrique subsaharienne, 89 % des élèves ne disposent pas d’un ordinateur à la maison et 82 % n’ont pas d’accès Internet. Une génération de jeunes Africains a ainsi manqué en moyenne vingt-six semaines de cours. (...)
Les filles ont, par ailleurs, été davantage confrontées aux violences sexuelles et sexistes lors des confinements. En Afrique subsaharienne, près d’un million d’écolières risquent d’abandonner définitivement leur scolarité en raison d’une grossesse commencée pendant la fermeture des établissements. Des enquêtes menées en Afrique du Sud, en Eswatini (ex-Swaziland) et en Ouganda indiquent qu’au moins 70 % des femmes ont subi une augmentation de la violence depuis le début de la pandémie. L’un des défis des Etats africains sera donc de renforcer la lutte contre les inégalités de genre afin de préserver les progrès considérables réalisés ces dernières années.