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Le courrier des Balkans
Électricité en Albanie : la privatisation plonge les pauvres dans le noir
Article mis en ligne le 14 janvier 2015
dernière modification le 12 janvier 2015

La privatisation des fournisseurs d’électricité en Albanie a eu des conséquences catastrophiques, aussi bien pour les consommateurs que pour le réseau de distribution. Aujourd’hui, ce sont surtout les clients résidentiels, déjà précaires, qui paient le prix de ces erreurs et doivent de plus en plus souvent vivre sans accès à l’électricité.

Une large majorité des foyers albanais est, pour son approvisionnement en électricité, dépendante d’une entreprise autrefois publique ayant subi un processus de néo-libéralisation. Au cours des différentes phases du processus de privatisation et d’adaptation du secteur électrique, l’entreprise a tout d’abord été divisée en deux, avant de voir en 2009 sa branche la plus importante de distribution d’énergie racheté par l’entreprise tchèque České Energetické Závody (ČEZ).

Cette privatisation avait été planifiée au niveau politique afin de coïncider avec la présidence tchèque de l’UE. Le gouvernement albanais de centre-droit de l’époque a utilisé l’aspiration de l’Albanie au statut de candidat à l’adhésion à l’UE comme argument de propagande en vue des élections parlementaires, et le Premier ministre Sali Berisha a directement déposé cette candidature auprès du Premier ministre tchèque, dont on supposait qu’il avait une influence sur ČEZ et sur la privatisation.

D’un point de vue idéologique, la privatisation du secteur de la distribution d’énergie et le dépôt d’une candidature auprès de l’UE étaient considérés comme des avancées supplémentaires vers l’objectif national ultime : l’intégration à l’UE et les réformes structurelles, telles la privatisation, exigées par Bruxelles.

Aggravation de la crise énergétique

Cependant, la privatisation du secteur de la distribution d’énergie non seulement n’a pas amélioré la qualité de l’alimentation de la population en électricité, mais elle n’a fait qu’aggraver la crise énergétique déjà existante.

La mauvaise gestion, le coût des services trop élevé pour les citoyens, les malversations, l’augmentation des dettes et les pertes techniques lors du transport de l’électricité ont bien failli mener le système à sa perte. Ce qui a contraint le gouvernement de centre-droit à renationaliser le secteur de la distribution d’énergie. Le différend juridique entre ČEZ et le gouvernement albanais s’est conclu par un accord selon lequel ce dernier était redevable à ČEZ de l’intégralité de la somme contre laquelle il avait vendu la branche cinq ans auparavant (autour de 100 millions d’euros).

Autrement dit, ČEZ conservait tous les bénéfices engrangés et, pire encore, c’était à l’entreprise publique tout juste créée (OSSHE) de rembourser les dettes accumulées par le fournisseur quand il appartenait à ČEZ. Ce différend fut réglé peu de temps avant que l’UE ne rende sa décision d’accepter la candidature de l’Albanie au statut d’État membre – on craignait en effet que, faute d’accord à propos du fournisseur d’électricité, la République tchèque ne décide d’utiliser son veto contre l’Albanie.

Une restructuration aux frais des plus défavorisés

Sous la pression des recommandations et conditions émises par la Banque Mondiale, l’actuel gouvernement de centre-gauche a pris la décision de restructurer le secteur de l’énergie afin de réduire les pertes. Comment réaliser ces économies ?

Au lieu de diminuer les dépenses techniques liées au circuit de distribution, il a été décidé d’augmenter les prix de l’électricité de quasiment 30 %. Les négociations à ce sujet sont encore en cours, mais l’agence gouvernementale ayant la compétence légale de proposer un nouveau prix a précisément évoqué une telle augmentation.

D’autre part, la nouvelle grille tarifaire de facturation de la consommation d’électricité ne fera qu’aggraver la discrimination économique : selon ce nouveau système, ceux qui dépensent le moins d’énergie (en général les foyers les plus défavorisés) paieront plus cher le kilowatt/heure, alors que ceux qui dépensent davantage d’énergie (en général les foyers les plus aisés) bénéficieront d’un tarif préférentiel.

Coupures d’électricité pour les mauvais payeurs

Et ce n’est pas tout. Au cours des dernières semaines, le gouvernement albanais, son agence pour l’énergie électrique et la police ont massivement commencé à couper l’électricité à ceux qui n’avaient pas payé leurs factures.

Le nombre de consommateurs n’ayant pas effectué ce règlement ou l’ayant remis à plus tard est estimé à environ 20 %, et la grande majorité d’entre eux sont des familles défavorisées, des chômeurs, des bénéficiaires des allocations sociales, des travailleurs précaires, etc. Ainsi, à Kukës, dans la région la plus pauvre de l’Albanie, seuls 4 % des consommateurs sont parvenus à payer leurs factures. Ce brutal renforcement de la lutte des classes a contraint un grand nombre de personnes à vivre non seulement dans la pauvreté mais également dans le noir complet, et des quartiers entiers ont ainsi été précipités dans une ère pré-industrielle. (...)

Sur le plan idéologique, le gouvernement s’efforce de réduire les pauvres au silence et de criminaliser ceux qui ne paient pas leurs factures, plus particulièrement ceux qui « volent » l’énergie, et de se présenter, à l’opposé, comme le porte-parole de l’honnête majorité. Il essaie ainsi de dissimuler les conflits de classe et la responsabilité du gouvernement dans l’effondrement du système, et de désigner comme problème principal les citoyens « parasites ». (...)

La néo-libéralisation de la société albanaise au cours des dernières décennies s’est construite sur un accord tacite entre les élites politico-économiques et les masses, plus particulièrement les plus pauvres. Les premières ont systématiquement « toléré » les activités illégales des deuxièmes, qui n’y avaient d’ailleurs recours que pour s’extraire des conséquences les plus extrêmes de la pauvreté. Le fait que la majorité des foyers défavorisés ne paient pas leurs factures d’électricité était considéré comme un manque-à-gagner social nécessaire pour les apaiser et pour que les réformes néolibérales puissent être menées à bien sans rencontrer trop de résistance. Cet accord tacite est aujourd’hui rompu, ce qui signifie également que s’ouvrent de nouvelles possibilités d’organisation politique du ras-le-bol de la société.