
La mission d’Emmaüs Connect ? Aider les publics en situation de précarité numérique. Tous les publics. Pourtant, à Marseille, un de ses financeurs réclame des informations sur le statut administratif des bénéficiaires. Un flicage qui vise directement les personnes sans papiers et met en colère certain·es salarié·es.
Situé boulevard National, à Marseille, le local d’Emmaüs Connect ne paye pas de mine. Une devanture sobre et une porte vitrée derrière laquelle attend patiemment un jeune embauché en service civique. C’est lui qui gère les premiers rendez-vous des personnes en situation de « précarité numérique » souhaitant s’inscrire aux services proposés par l’association. Toute la journée, de nouveaux usagers passent la porte du local pour se procurer un téléphone, une carte SIM ou simplement une connexion internet1
À mesure que les démarches administratives se dématérialisent, le besoin en matériel électronique croît et tout est plus compliqué2 : comment prendre un rendez-vous chez le médecin, à Pôle emploi ou à la préfecture quand on n’a pas les moyens de se payer un ordinateur ou un forfait internet ?
Emmaüs Connect agit au quotidien dans plusieurs grandes villes de France, guidé par un principe d’aide inconditionnelle3. Mais cette valeur, centrale pour l’association, est mise à mal par un de ses nouveaux financeurs, remettant en cause les missions en direction des personnes migrantes. (...)
Aide sous conditions
Les financements d’Emmaüs Connect émanent du privé (entreprises, mécènes) comme du public (départements, régions, État), et certains financements font plus tiquer que d’autres. En octobre 2022, l’association a ainsi répondu à un appel à projets de la Direction générale des étrangers de France (DGEF)4 dont l’objectif était de créer du contenu numérique pour les personnes migrantes en situation régulière sur le territoire. Une mission aux contours flous et au budget peu élevé : « Cent cinquante mille euros à l’échelle nationale et quarante mille par antenne », selon Lola*, employée d’Emmaüs Connect depuis quelques mois. En échange de cette somme, la DGEF a exigé que l’association l’informe de la situation administrative des bénéficiaires et lui transmette leurs identités. Une condition refusée par Emmaüs Connect, qui a décidé de ne fournir les noms et prénoms des bénéficiaires qu’à la Cour des comptes, la DGEF devant se « contenter » de statistiques concernant la proportion de personnes migrantes régulières et irrégulières aidées par l’association. (...)
Pour certain·es salarié·es de l’asso, même dans ces conditions, la situation pose problème. Lors de chaque inscription, ils et elles doivent désormais demander à la personne si elle est ou non en situation régulière pour renseigner les statistiques. « Et ce sont les travailleur·ses en service civique, les bénévoles et les stagiaires qui devront poser cette question malaisante… » (...)
« On se retrouve à jouer le jeu raciste de l’État » (...)
Emmaüs Connect n’est pas la seule structure associative dans cette situation. (...)
Du côté d’Emmaüs Connect, la colère couve : « C’est simple, depuis qu’il y a cette case, je refuse de demander s’ils ont des papiers ou non, assume Alice. Je ne suis pas de la police ! »