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Mediapart
Empoisonnement de Navalny : une enquête remonte jusqu’au Kremlin
Article mis en ligne le 16 décembre 2020

« Bonjour, c’est Navalny. Je sais qui a voulu me tuer. Je sais où ils vivent. Je sais où ils travaillent. Je connais leurs vrais noms. Je connais leurs faux noms. J’ai leurs photographies. Voici l’histoire d’un groupe secret de tueurs du FSB qui comprend des médecins, des chimistes, ils ont essayé de m’assassiner à plusieurs reprises et ont tenté une fois de tuer ma femme. »

Alexei Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine, qui a été empoisonné le 20 août par une arme chimique de la famille du Novitchok avant d’être sauvé en Allemagne où il récupère depuis dans un lieu tenu secret, a posté cette vidéo sur YouTube lundi 14 décembre. Vingt-quatre plus tard, elle comptabilisait déjà plus de 7 millions de vues et devrait être regardée par une bonne partie de la population russe.

Navalny relaie dans cette vidéo (sous-titrée en anglais) une enquête journalistique explosive pour le Kremlin. Menée depuis septembre par le média Bellingcat, avec la coopération de Der Spiegel, El Pais, de CNN et du site russe indépendant The Insider, cette enquête identifie les principaux acteurs de l’empoisonnement de l’opposant. Ils sont une quinzaine. Tous sont membres d’une unité secrète du service de sécurité intérieur de la Fédération de Russie (FSB, ex-KGB), une unité qui a accès à l’arsenal chimique russe.

Depuis 2017, cette unité n’a cessé de surveiller l’opposant et sa famille. Des équipes l’ont suivi dans ses déplacements privés et politiques –une trentaine en tout dans dix-sept villes de Russie. Ce déploiement de moyens devait s’achever cet été avec l’élimination de Navalny par empoisonnement à l’occasion d’un de ses déplacements en Sibérie, à Novossibirsk puis à Tomsk.

Cette équipe n’a cessé de rendre compte aux échelons supérieurs du FSB, en particulier à deux généraux de la Loubianka (siège du FSB), établit l’enquête. Vu l’ampleur de l’opération, sa durée, le nombre et la qualité des agents mobilisés, il ne fait aucun doute que le patron du FSB, Alexandre Bortnikov, était tenu informé. (...)

C’est en effet en recoupant des mails, des métadonnées de contacts téléphoniques, des fichiers de compagnies aériennes, des listings d’embarquement, des fichiers d’identité ou d’immatriculations de véhicules, des géolocalisations, que Bellingcat reconstitue l’existence et les opérations de cette équipe d’agents dédiée à la surveillance de Navalny. (...)

L’enquête de Bellingcat est la première qui établit aussi précisément le détail des opérations, l’identité des acteurs et la chaîne de commandement remontant jusqu’au sommet du FSB. C’est bien le cœur de l’État qui se trouve ainsi mis en cause pour une tentative d’assassinat d’un opposant politique. Dans le passé, de telles éliminations avaient été plutôt confiées à des tueurs tchétchènes (assassinats d’Anna Politkovskaïa ou de Boris Nemtsov), ce qui empêchait de remonter aux commanditaires.

Vladimir Poutine n’en a ainsi pas fini avec les questions et la ligne de défense adoptée jusqu’alors est comme balayée. La bataille sur l’affaire Navalny va se poursuivre en Russie, au niveau international mais aussi devant l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Sa conférence annuelle s’est ouverte le 30 novembre et, lors de son discours d’ouverture, le directeur général a mis le cas de l’opposant russe à l’ordre du jour, considérant qu’il s’agissait bien de l’utilisation d’une arme chimique. Et donc d’une violation de la convention internationale signée par Moscou.