
Plus d’un tiers des mineurs sans état civil dans le monde sont issus du continent. Non déclarés à leur naissance, ces jeunes se retrouvent sans droits.
Une phrase suffit pour installer la stupeur dans la pièce et faire taire les chuchotements. Quand Me Abdoulaye Harissou annonce que, « sans papiers, vous ne serez jamais de grands footballeurs car vous ne pourrez pas sortir du pays pour jouer dans les meilleurs clubs », des dizaines de petits yeux se figent. Dans cette annexe de mairie où se sont regroupés une soixantaine d’enfants sénégalais, l’homme poursuit, s’adressant à l’autre moitié de l’auditoire. « Vous les filles, sans acte de naissance, on peut vous marier de force précocement et vous ne pourrez pas porter plainte. » Quelques petites têtes acquiescent, façon de marquer leur conscience du sujet avant que l’orateur ne poursuive. « Un enfant a le droit et le devoir d’avoir un acte de naissance. Sans ça, vous n’existez pas, vous êtes des enfants fantômes. » (...)
On estime qu’à travers le monde 230 millions d’enfants n’ont pas été enregistrés à leur naissance et sont aujourd’hui des « invisibles ». Ils n’ont accès ni à la gratuité des soins, ni aux bourses d’études, ni à la protection juridique des mineurs et ne pourront jamais voter. Environ 37 % de ces enfants vivent en Afrique, continent particulièrement concerné par ce drame qui prive « du premier des droits ». Car sans papiers les enfants sont des proies encore plus faciles pour le travail informel, les mariages précoces et forcés, et sont très tôt exclus de l’école. De nombreux pays, en effet, n’acceptent pas les élèves sans acte de naissance au-delà du primaire. (...)
En fait, « un père peut être le pire ennemi pour son enfant », résume un intervenant du film. En oubliant, par méconnaissance ou par mépris des formalités, d’inscrire son enfant à l’Etat civil, il le prive de son identité, en fait un futur apatride. (...)
Globalement important en Afrique subsaharienne, le problème est particulièrement présent dans les pays en guerre, tels le Liberia, la Sierra Leone ou la Libye. Or ces enfants jamais enregistrés sont aussi plus facilement exposés à l’enlèvement et à l’enrôlement par des milices. (...)
Abdoulaye Harissou estime qu’il faudra trente ans, une génération, pour éradiquer ce problème mondial, même si, « en réalité, avec l’avancée des nouvelles technologies, cela pourrait aller plus vite », observe le juriste. Le film présente en effet le projet d’un Burkinabé qui a conçu iCivil, un bracelet biométrique pour les nouveau-nés qui simplifie la transmission des données (...)
Cela évite les archives papiers qui se perdent ou finissent en lambeaux, comme les négligences et les oublis. « Près d’un milliard d’êtres humains sont sans identité sur la planète, avance même Laurent Fritsch, alors que les solutions sont simples et peu coûteuses. » Là comme ailleurs, la conclusion est toujours la même, « il suffirait de volonté politique ». (...)
En Côte d’Ivoire, Laurent Fritsch a assisté à la régularisation de 1,5 million d’enfants en trois jours. La législation du pays autorise en effet le procureur général à signer une ordonnance permettant l’obtention de nombreux actes de naissance en une seule fois (...)