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Reporterre
En Isère, Gilets jaunes et villageois dénoncent la pollution de Lactalis
Article mis en ligne le 19 février 2019

Dans le Vercors, les Gilets jaunes ont manifesté samedi dans un village, avec les habitants. Le but : protester contre le géant du lait, Lactalis, dont une fromagerie déverse ses eaux usées dans l’Isère.

10 heures, samedi 16 février. Une file de gilets fluo se dessine le long des plantations de noyers. Elle converge vers les deux cylindres en inox qui signalent au loin la fromagerie de L’Étoile du Vercors, un fleuron régional propriété depuis 2011 du leader mondial du lait, Lactalis. L’opération, rendue publique, a suffisamment été prise au sérieux par la direction de l’usine pour qu’elle décide de suspendre son activité — entre 46.000 et 58.000 litres de lait traités par jour. Sur le parking, les véhicules de gendarmerie ont remplacé ceux des employés et les camions-citernes sont au point mort. « Il aurait fallu venir à l’improviste », soupire Nicole [*], de Saint-Sauveur, localité voisine et place forte des Gilets jaunes. « Au contraire, s’il suffit d’annoncer qu’on vient dans la presse pour qu’ils ferment l’usine, c’est déjà gagné », lui répond Baptiste [*], son camarade de rond-point. (...)

La fromagerie, créée en 1942 et qui emploie 147 salariés, est l’un des points de ralliement isérois en ce XIVe acte de mobilisation des Gilets jaunes. Motif de la contestation : les effluents que l’usine déverse dans l’Isère, résidus de lait et substances chimiques de désinfection. Une pollution qui perdure depuis plusieurs décennies malgré le combat des élus locaux. Selon la Direction départementale du territoire, L’Étoile du Vercors rejette chaque année dans la rivière l’équivalent des eaux usées d’une ville de 8.000 à 10.000 habitants.

« Plus de poissons, moins de poisons »
Ils sont une centaine de Gilets jaunes, du coin et des départements voisins, à avoir quitté leurs ronds-points pour cette journée d’action. (...)

Au désormais célèbre « RIC » [référendum d’initiative citoyenne] barrant les gilets s’ajoute le slogan « Plus de poissons, moins de poisons ». « Au début du mouvement, on a été présentés comme opposés à l’écologie alors que c’est une de nos batailles ! On veut une société, une agriculture humaine et respectueuse de l’environnement, pas des lobbies », lancent Katy et Patrick, Gilets jaunes drômois. « C’est toujours les petits producteurs qui sont emmerdés. Plus t’es gros, plus t’es au-dessus des lois », estime quant à lui Thierry, ancien « ouvrier du lait ». (...)
Le contentieux entre Lactalis et la commune porte sur des questions administratives et urbanistiques. En décembre 2018, et pour la quatrième fois depuis 2014, le groupe a demandé une autorisation de permis pour construire sa propre station, au motif que « la station intercommunale n’était techniquement pas pérenne et ne pouvait recevoir le type d’effluents de la fromagerie sans pénaliser son fonctionnement ». Permis que la commune a systématiquement refusés, arguant notamment que les terrains visés par Lactalis sont situés en future zone agricole. (...)

Maire depuis onze ans, conseiller municipal depuis vingt-cinq et embourbé dans cette affaire depuis autant, c’est un homme fatigué qui reçoit Reporterre dans son bureau, un homme pris entre le marteau de l’État et l’enclume d’un groupe trop gros pour lui et ses 1.300 administrés. (...)

Du côté de la préfecture d’Isère, la position est dure à tenir. Après avoir mis Lactalis en demeure, le 9 septembre 2016, de se conformer à la réglementation en matière de traitement de ses effluents [1] — précisant toutefois qu’elle ne pouvait forcer la société à choisir une solution plutôt qu’une autre —, elle incite désormais le maire à signer le permis de construire afin que la situation se débloque. « Je n’en veux pas au préfet, il est comme moi, c’est un pion », dit Joël O’Baton, non sans préciser qu’il en a vu passer quatre. « Les commandes, c’est en haut que ça se passe, j’ai de plus en plus l’impression d’être victime d’un lobby. »

Mais l’édile persiste et ne signe pas, ponctuant ses discours de : « Moi, maire de Saint-Just-de-Claix, jamais je ne signerai ce permis de construire. » Et à qui lui reprocherait d’en faire une affaire personnelle, il répond que c’est une affaire de principe. Et de justice fiscale envers ses administrés, qui paient le surcoût d’une station surdimensionnée. (...)

Contactée par Reporterre, la direction du groupe Lactalis maintient sa position, jugeant le refus du maire « incompréhensible » et la situation « ubuesque et préjudiciable pour tous : l’environnement au premier chef, mais aussi la fromagerie, ses salariés, les producteurs de lait et donc toute la collectivité ».

Lassé de cet imbroglio, le conseil municipal a, un temps, envisagé la démission collective. Ce jeudi, il a finalement voté le principe d’une consultation publique invitant les électeurs à se prononcer sur l’éventuelle construction par L’Étoile du Vercors de sa propre station. Cette consultation est programmée le 30 avril prochain. Sous réserve de validation par la préfecture, ce qui promet une longue vie à ce banal fait d’Isère.