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En Italie, une coopérative résiste à la Mafia calabraise et offre un autre futur à la jeunesse
Article mis en ligne le 20 février 2017
dernière modification le 16 février 2017

La coopérative sociale Valle del Marro s’est développée au cœur de la Calabre. Dans une région où l’emprise de la ’Ndranghetta – la mafia calabraise – a découragé bien des initiatives, la coopérative récupère les biens – bâtiments ou terrains – que la justice a repris au crime organisé et s’en sert comme outil d’insertion.

Une entreprise modèle dont le courage et la portée ont valeur de symbole. « Ici ce n’est pas une terre de la mafia. C’est une terre confisquée à la mafia », résume Don Pino De Masi, référent régional de Libera, la plus grande association anti-mafia de la péninsule. Reportage sur cette terre marquée par la violence mafieuse.

Les carabiniers et leurs unités d’élite l’ont arrêté en juin dans le massif de l’Aspromonte, cette pointe de la péninsule italienne qui descend brusquement sur le détroit de Messine, face à la Sicile. Ernesto Fazzalari, 46 ans, était en cavale depuis 1996, soupçonné, entre autres choses, d’avoir pris part cinq ans plus tôt à la décapitation au couteau d’un chef d’un clan rival de la ’Ndranghetta, la mafia calabraise. (...)

Un jour, raconte Antonio, le prêtre Don Pino De Masi, aujourd’hui référent de l’association anti-mafia Libera, organise des activités pour les enfants de la ville sur la place qui fait face à un immeuble luxueux, propriété du clan Longo-Versace. En voyant les enfants, Michele Versace envoie un domestique pour offrir une glace à chacun d’entre eux. Le prêtre explique aux enfants qu’ils doivent refuser et ceux-ci obtempèrent. Pointant l’immeuble du doigt, il dit à l’émissaire des Versace : « Un jour, c’est nous qui serons là. » Après une guerre entre clans rivaux pour le contrôle de la drogue et l’assassinat de deux membres de la famille Versace, l’État reprend peu à peu le contrôle du territoire. (...)

Une coopérative sociale, agricole, anti-mafia

La coopérative Valle del Marro est une coopérative sociale et mutualiste née d’une double volonté : d’un côté le désir des pouvoirs publics d’externaliser une part de leurs services, de l’autre l’auto-organisation de la société civile désireuse de répondre à des besoins sociaux peu ou mal satisfaits, en apportant des solutions innovantes. Ce qu’on appelle en Italie une coopérative de « type b » : ce ne sont pas les activités de la coopérative qui en font le caractère social, puisqu’il peut s’agir indifféremment d’activités commerciales, industrielles, agricoles ou de service. En revanche, elle se doit d’embaucher au moins pour moitié des employés, qui par leur handicap, psychique ou moteur, trouvent plus difficilement le chemin de l’emploi. (...)

60% de l’espace cultivé par la coopérative est destiné aux oliveraies, le reste aux fruits – oranges, clémentines, kiwis – et à l’horticulture – aubergines, piments. L’huile d’olive biologique est le fleuron de l’entreprise. La production est distribuée dans toute l’Italie, ainsi qu’en Suisse, par des boutiques spécialisées dans le commerce biologique et équitable ainsi que par la grande distribution coopérative. L’association Libera, dont le référent est le prêtre Don Pino De Masi, a aussi développé son site qui sert de vitrine commune à l’ensemble des coopératives anti-mafia.

Construire un autre futur pour le territoire (...)

Avec les migrants de la plaine de Gioia Tauro

Durant l’hiver, la coopérative fait appel aux travailleurs migrants. « Ils ont du courage à revendre, estime Antonio. Et ils ne sont pas conditionnés par la mentalité locale. » Ils bénéficient ici de contrats en bonne et due forme, une exception dans une région où le travail à la tâche est de mise. Ailleurs, souvent, des contremaîtres appelés « caporaux », anciens travailleurs migrants passés au service des patrons, sélectionnent chaque jour la main d’œuvre contre une partie de sa faible rémunération. Ce système existait avant la vague d’immigration et régissait autrefois l’exploitation des Calabrais les plus pauvres, enfants compris. (...)

Une chose est sûre, si à l’échelle nationale et très au-delà, la ’Ndranghetta est plus puissante que jamais, contrôlant par exemple 80% du commerce de la cocaïne en Europe, localement, le courage commence à payer. Dans l’ancien immeuble de la famille Versace, la coopérative a installé une bibliothèque et s’apprête à ouvrir une auberge de jeunesse. Toute l’année, organisations régionales et nationales s’y retrouvent pour des rencontres sur la citoyenneté.