
Une lectrice et amie du Poing nous a proposé le texte ci-dessous, qui réfléchit sur la question carcérale. Son approche très personnelle, diffère de celle le plus souvent énoncée par Le Poing (dénonciation sociale et anti-autoritaire, dans l’objectif d’une abolition de la prison). Ici, l’auteure réfléchit sur le langage de l’enfermement. Elle-même a eu une longue pratique professionnelle dans les services fermés/ouverts de psychiatrie. Pour cet article, elle a aussi nourri sa réflexion par un dialogue approfondi avec une amie qui travaille dans les services pénitentiaires. Par ailleurs, elle en réfère à ses lectures de livres de Jean-Marc Rouillan (Le tricard et Paul des épinettes et moi).
Ce que la langue dit en prison
De convocations en notifications, décision, interdiction, assignation, incarcération , réclusion.
En application – des peines – probation, exécution, obligation, infirmation , infraction.
A quand la promesse de la libération ?
Tous ces mots de notre langue contiennent un seul sens,ils sont en béton sans fissures sans question. Et pourtant c’est dans les prisons et avec la justice que le langage de « ceux qui décident pour d’autres » convoque sans cesse :
– les oxymores qui réunissent ou accolent deux mots de sens différents
– les antithèses qui rapprochent deux antonymes au sein d’un même énoncé
– les paradoxes qui rapprochent des idées opposées
– voire l’énantiosème qui signifie une chose et son contraire dans un même mot.
C’est la langue parlée par l’administration pénitentiaire et en amont par la justice, par le juge d’application des peines, une langue qui ne permet pas au sens de trouver une direction, un semblant de vérité, en tout cas de ne pas se perdre.
Mais il est aussi dit que le paradoxe peut nous inviter à réfléchir, voire à révéler une autre vérité que celle affirmée, qu’en est il dans le cas de la détention… ?
« Une langue, entre autres, n’est rien de plus que l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister » (Jacques Lacan, cité par Barbara Cassin).
Ce que la prison fait à l’être humain :
« La prison c’est d’abord un supplice intime qui nous envahit pour éliminer toute trace du dehors. C’est une odeur, un bruit … On devient en permanence un étranger.
Les effets d’une vie d’incarcération sur les habitudes inscrites dans le corps d’un être humain,
les pratiques dilatoires d’une administration de la justice qui diffère, retarde, suspend, qui fait se succéder en deux décisions les semaines comme les heures pendant lesquelles on doit survivre dans un temps immobile. La libération devient un mirage et la liberté fait peur car le prisonnier sait qu’il découvrira à ce moment là en franchissant la porte l’ampleur de l’amputation intime qu’il a subie au cours de ces années d’emprisonnement… » (Jean-Marc Rouillan).
La sanction d’incarcération produit un effet d’électrochoc sur la personne mais l’arbitraire de l’organisation de la vie , du temps carcéral et judiciaire ne cesse de produire une aggravation du sentiment d’injustice et de colère contre cette machine qui ne remplit pas ses fonctions, ses objectifs, dont l’éthique a disparu accompagnée d’un sens moral perverti. Alors que l’enjeu serait une réflexion argumentée sur le « bien agir » pour retrouver une place quelque part dans sa vie avec le monde des autres.
Cette violence institutionnelle, ce règne de l’arbitraire c’est la double peine, la triple peine (...)
Ce que le Covid a fait à la prison
Le Covid a permis qu’il n’y ait, temporairement, plus de matelas par terre, mais également plus du tout d’activités, moins ou pas de parloirs. Une promesse générale de remise de peine si le détenu avait un bon comportement pendant le confinement. Le Covid a parfois pu permettre d’être plus rigoureux mais dans la réalité d’après qui est la même que celle d’avant, toutes les mauvaises habitudes « d’arrangement » ont repris le dessus …. Les textes et les lois disent : « on ne mélange pas dans le même enfermement les prévenus et les condamnés », mais parfois nécessité fait loi et ils sont mélangés selon le taux d’occupation des maisons d’arrêt et des centres de détention. La pandémie ne va pas susciter du jour au lendemain une nouvelle organisation du système pénitentiaire d’insertion et de probation plus juste, plus équilibrée, surtout plus sensée. (...)