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État d’urgence sanitaire : « La figure du danger était celle du terroriste, demain, ce sera le malade »
Article mis en ligne le 27 mai 2020

L’état d’urgence sanitaire a été prolongé jusqu’en juillet. Il permet au gouvernement de limiter les déplacements autorisés et d’imposer des mesures d’isolement et de quarantaine. Ce nouvel état d’urgence rappelle celui de 2015, contre le terrorisme. Ces dispositions d’exception risquent de devenir permanentes, alerte Sarah Massoud, du Syndicat de la magistrature. Entretien.

(...) Sarah Massoud [1] : Le texte final est moins rude en termes d’atteintes aux libertés individuelles que le projet de loi initial. Mais il y a quand même dans la loi finale prorogeant l’état d’urgence sanitaire une philosophie qui demeure, et que nous contestons, celle du tropisme de l’exception. Le texte a été amendé plutôt dans un sens favorable sur la question du fichier de suivi des malades du Covid, mais nous devons rester très vigilants sur sa mise en œuvre [2].

Concernant l’isolement et la quarantaine, qui existaient déjà dans la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire [3], ces mesures prennent une ampleur différente et accrue dans le cadre du déconfinement. Ce sont des mesures privatives de liberté, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 mai sur la loi de prorogation de l’état d’urgence [4]. En tant que telles, elles sont accompagnées d’un contrôle du juge des libertés et de la détention [JLD], sur lequel nous sommes tout à fait d’accord. Qui dit privation de liberté, dit intervention du juge judiciaire. Le texte prévoit une intervention possible du JLD dès 72 heures après la décision de placement en isolement ou en quarantaine. Le JLD devra par la suite intervenir si la mesure est prolongée au-delà de 14 jours. (...)

Les juges des libertés et de la détention savent-ils exactement sur quoi ils vont devoir statuer ? Ont-ils les moyens pour le faire ?

Nous sommes inquiets pour la mise en œuvre de cette nouvelle compétence dans la mesure où le service public de la justice est asphyxié depuis des lustres et fonctionne dans des conditions dégradées. Pour l’instant [5], il n’existe aucune information sur comment vont être mises en œuvre ces dispositions, avec quels moyens supplémentaires ou pas, sachant que la reprise d’activité des juridictions est déjà très ardue. La période de confinement a conduit à de nombreux reports ou annulations d’audiences que les personnels de justice vont devoir rattraper dans des conditions d’exercice encore limitées. En plus, nous ne savons absolument pas combien de personnes vont être concernées. L’isolement et la quarantaine sont déjà appliquées dans les territoires et départements d’outre-mer, d’ailleurs sans aucun contrôle juridictionnel avant le 11 mai. Dans les Dom-Tom, en quelques semaines seulement, cela a concerné 1500 personnes.

Les décisions de placement en quarantaine ou en isolement seront prononcées par les préfets, sur proposition des agences régionales de santé, sur la base d’un certificat médical qui sera soumis aux autorités judiciaires. Hormis ce certificat médical, nous sommes dans le flou total sur ce qui constituera ces procédures. Si on fait le parallèle avec les soins sans consentement en psychiatrie [où le juge des libertés et de la détention intervient après 12 jours d’hospitalisation sans consentement], une part non-négligeable des mesures d’hospitalisation sont finalement levées par les juges à défaut d’élément suffisant. Avec ces mesures sanitaires, les JLD sont encore dans l’inconnu. (...)

Notre principale crainte aujourd’hui, c’est de voir une contamination du droit commun par ces dispositions d’exception. Nous en avons amèrement fait l’expérience par le passé. Le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits humains l’ont aussi dit.