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le Monde Diplomatique
Evincés dès qu’ils commencent à s’organiser Travailleurs saisonniers, la ronde infernale
… Patrick Herman Journaliste, auteur de Les nouveaux esclaves du capitalisme, Au diable Vauvert, Vauvert, 2008 (...)
Article mis en ligne le 20 septembre 2013

Longtemps venus du Maroc et de la Tunisie, les saisonniers agricoles n’ont commencé que récemment à réclamer justice pour les abus dont ils ont été victimes en France. Mais la « migration circulaire de travail » prônée par l’Union européenne change la donne. Transitant par l’Espagne, les travailleurs temporaires latino-américains remplacent peu à peu la main-d’œuvre maghrébine. (...)

« La drogue dure des producteurs méditerranéens » : il y a trente ans déjà, M. Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qualifiait ainsi le recours systématique à l’emploi de saisonniers étrangers dans le sud de la France. L’implantation de cultures primeurs intensives à partir des années 1960-1970 va y faire exploser le nombre de ces contrats. Pour la plupart marocains et tunisiens, ces travailleurs vont représenter un véritable « plan Marshall » pour l’agriculture provençale. Pas pour très longtemps, cependant : l’entrée de l’Espagne dans l’Europe agricole puis la libre circulation des produits imposée par les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mettent en concurrence les bassins de production du monde entier. Le saisonnier devient la variable d’ajustement pour les employeurs, qui cherchent à réduire leurs coûts de production. Les Bouches-du-Rhône, où le syndicat agricole majoritaire fait la loi, s’affirment comme le laboratoire d’une relance de l’immigration économique qui ne dit pas son nom. (...)

Dans la plaine de Berre, vingt-quatre salariés abusivement licenciés se voient reconnaître leurs droits après sept ans de procédure aux prud’hommes. En décembre 2008, les deux exploitations concernées sont condamnées à leur verser plus de 1 million d’euros au titre de rappels de salaires, heures supplémentaires, travail dissimulé, licenciement abusif, etc. Jugement confirmé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en janvier 2011.

En décembre 2008, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) condamne à son tour les pratiques de certaines exploitations des Bouches-du-Rhône. Un désaveu cinglant pour la préfecture, qui, confrontée depuis 2007 à des vagues successives de demandes de cartes de séjour « salarié » soutenues par un collectif d’avocats, avait misé sur l’enlisement des procédures. Plus d’un millier de cartes de séjour seront attribuées.
Colombiens, Péruviens et Boliviens affluent

Tout cela fait réfléchir les exploitants, non sur le sort réservé à leurs ouvriers, mais sur le moyen d’adapter leur système de main-d’œuvre. L’heure a sonné pour les entreprises de travail temporaire (ETT), car l’Union européenne parle désormais de « migration circulaire de travail » et de « partenariat pour la mobilité ». Nombre de ces entreprises spécialisées dans le travail en agriculture ont leur siège en Espagne : AgroEmpleo, Agroprogres, Emagri, et surtout Terra Fecundis, qui va devenir rapidement dominante dans le détachement transnational de travailleurs temporaires extracommunautaires. Notamment vers la France. (...)

Les derniers arrivants, plus malléables, sont privilégiés. Assignés à résidence sur l’exploitation, ne parlant pas français, ne sachant même pas où ils se trouvent, ils peuvent être mis à la porte du jour au lendemain. L’opacité est de mise sur la rémunération effective des salariés ou leur couverture médicale. Comment l’inspection du travail pourrait-elle faire respecter les règles minimales en matière de droit du travail ? Un tiers seulement des déclarations initiales obligatoires sont effectives…

Et cette nouvelle forme de contournement du droit du travail prospère dans les autres régions françaises, notamment dans les Landes, pour la récolte des asperges. (...)