
Jetés à la rue par Unilever, les Fralib ont repris l’outil de travail. En mai 2014, après quatre ans d’occupation et de démêlés judiciaires, ils ont fondé la Scop-Ti et une nouvelle gamme de thés et tisanes, baptisée « 1336 » en mémoire de leurs 1336 jours de combat opiniâtre. Cap sur l’avenir !
Comment passe-t-on d’ouvrier-Kleenex à coopérateur ? Par dignité, affirme Rim, comptable en devenir. Grâce à une conscience sociale, soutient Olivier, ex-délégué syndical élu directeur général : « Un homme, une voix. On est 57 coopérateurs ex-Fralib [sur 182 employés à l’annonce de la fermeture en 2010], plus l’association Force et Bon Thé, qui réunit les coopérateurs extérieurs, mais qui n’a qu’une voix, pour que les travailleurs de la Scop ne perdent jamais le contrôle. L’AG a élu un conseil d’administration pour quatre ans, révocable à tout moment. »
Rim raconte son histoire, celle des Fralib, celle de la condition d’ouvrière des temps modernes : « J’ai eu un CDD à Fralib en mars 2008, après six ans d’intérim. Il faut bien vivre, alors tu commences au bas de l’échelle, manutentionnaire, opératrice, puis au laboratoire. Lors de l’entretien, on te parle de possibilité d’évoluer. Sous contrat chez Unilever, c’est rassurant, tu peux t’acheter la maison, et c’est ce que j’ai fait. Tu prends un crédit sur vingt-cinq ans et, un an plus tard, on te met à la rue ! Alors là, tu as un peu la colère ! » La gorge de la jeune femme s’est nouée. « Avec ma formation d’assistante de direction, j’étais formatée. Je connaissais la stratégie des boîtes, mais la subir dans ta chair, c’est autre chose. Je savais qu’une fermeture se décide cinq ou six ans avant, alors j’ai vraiment eu du mal à digérer. J’ai fait une grosse dépression, je me cachais pour pleurer. Et puis j’ai pensé : si tu t’enfermes chez toi, ils auront gagné deux fois ! C’était ma première boîte, je n’étais pas syndiquée. Mon mari m’a soutenue. Je crois qu’avec des enfants, j’aurais eu encore plus la haine. Il y a des mères qui ont tenu pendant quatre ans. C’est aussi un moteur, les enfants. » (...)