
« Le sujet avec la prostitution, ce n’est pas la sexualité. […] Le sujet avec la prostitution, c’est l’argent. C’est l’argent qui détermine la volonté des parties et c’est ce même argent qui nourrit le proxénétisme. Dans la prostitution, le consentement à l’acte sexuel est un consentement dans lequel ceux qui ont de quoi payer ont droit à la soumission de ceux qui n’ont d’autres choix. » Najat Vallaud-Belkacem1
Il est impossible de parler de prostitution sans analyser le rôle de l’argent dans cette violence puisqu’il y est à la fois motivation et contrainte, valeur et dévalorisation, cause d’un échange donc semblant d’égalité et de liberté et moyen de domination, moyen d’autonomie et facteur d’addictions et de dépendances.
La relation entre la prostitution et l’argent est centrale mais aussi très complexe et on ne pourra ici épuiser toutes les analyses sur l’argent, la sexualité, la domination et la prostitution et leurs liens. Néanmoins la prostitution mime une relation marchande dont il faut expliquer la portée et le sens pour les deux « partenaires de l’échange ».
La pauvreté et la prostitution,
L’isolement affectif n’est pas l’apanage des classes les moins favorisées, ni les violences sexuelles telles que l’inceste2. La maltraitance affecte tous les milieux et est un facteur fragilisant d’entrée dans la prostitution. Mais les conditions de vie défavorables3 (précarité économique et sociale) multiplient par 1,5 le risque de subir des violences sexuelles au cours de la vie, dont la prostitution. Le besoin d’argent est bien souvent un facteur déclencheur d’une prise de risque. Rosen, survivante : « La prostitution, je devais y rester trois semaines, un mois. Au bout de 23 ans, j’y étais toujours. Et toujours avec les mêmes problèmes financiers. Une chose est sûre, on finit ruinée. Ce qui m’a fait plonger, je ne sais pas, une dépression, la peur du porte-monnaie vide… on y entre, on ne se rend pas compte ».
Ce besoin d’argent se surajoute à un terrain fragilisé. Il est aussi produit par ce qui a été vécu dans l’enfance et l’adolescence qui a marginalisé, qui a réduit les possibilités de réussite scolaire, qui a initié un processus de désaffiliation.
La violence et la délinquance sont genrées. Par exemple dans le cas de manque d’argent prolongé, hors insertion sociale et professionnelle classique, les hommes auront tendance à voler, à se lancer dans des trafics illicites, à devenir proxénètes ; les femmes oseront moins un acte violent et seront davantage en risque de prostitution.
Une femme accompagnée par l’Amicale du Nid dit : « Je n’avais plus rien et j’étais seule, qu’est-ce que je pouvais faire, arracher le sac d’une petite vieille pour manger, pénétrer dans une maison pour voler ? Je pouvais pas, c’était pas mon genre ».
Est-il besoin de rappeler la situation de pauvreté et de soumission de millions et de millions de femmes dans le monde, leurs problèmes de survie lorsqu’elles ont des enfants et se retrouvent seules à subvenir à leurs besoins ? Dans toute société la prostitution augmente avec l’appauvrissement, et les femmes issues de couches défavorisées sont surreprésentées dans la prostitution. Les femmes dans le monde sont les personnes qui connaissent le plus la pauvreté, la précarité des emplois et le temps partiel. Robert Castel4 à propos de la pauvreté et de la précarité écrivait : « La propriété de soi se réduit à la propriété de son corps avec lequel on est obligé de payer cash parce qu’on n’a pas d’autre monnaie d’échange. Alors on paie de sa personne. Cela peut aller jusqu’à la prostitution ». (...)
Que signifie donc le consentement quand ses ingrédients sont l’effondrement de l’estime de soi par des violences subies, l’isolement, les conséquences de traumatismes, la violence des proxénètes, les pressions de la famille, la précarité, le besoin… et la demande des prostitueurs.
Ces prostitueurs qui se rendent dans les pays pauvres et qui se voient souvent comme s’ils exerçaient une fonction sociale admirable !
Sur un forum internet5 où des clients de la prostitution discutent de la réalité ou non de la traite et de l’exploitation des femmes, un d’entre eux écrit : « C’est peut-être vrai ; peut-être que ces femmes ont des vies horribles et déprimantes. Si oui et si elles en souffrent à ce point, je représente quelques heures d’argent facile. Je suis pour elles un repas gratuit ». Un autre : « Allez là où les gens ont faim. Choisissez un pays pauvre, allez chercher des femmes dans les régions dévastées par la famine. Elles vous adoreront. Elles prendront soin de vous. Elles vous laisseront les…, elles vous masseront, elles feront n’importe quoi pour vous… et pour tellement peu d’argent, juste de quoi manger un repas de plus et survivre ».
Est-il besoin de commenter ? (...)
Le moment de basculement dans la prostitution est beaucoup plus un naufrage qu’un choix, et ensuite les personnes, prises dans ce qu’elles ont pensé être une solution à leurs problèmes ou une démonstration de maîtrise de leur vie, se battent, se débattent, voire s’annihilent encore davantage pour ne plus sentir le dégoût, l’étouffement, la peur et la souffrance de la noyade.
La prostitution n’est pas un choix, c’est un manque de choix.
L’argent de la prostitution
Les industries du sexe représentent des milliards. Le trafic de la traite des êtres humains à des fins de prostitution fait partie des trois grands trafics mondiaux avec les armes et les drogues, trafic liés la plupart du temps. S’est mis en place un véritable colonialisme prostitutionnel qui amènent la marchandise dans les pays riches où sont les clients ou qui transportent les clients vers les « paradis » du viol tarifé. Des millions de femmes et d’enfants sont ainsi mis en esclavage sexuel. (...)
Argent, révélateur de rareté et de besoins premiers du corps par son manque mais aussi support et moyen de puissance fantasmée par ce même manque qui construit le désir. C’est dans cette double valence que l’argent est associé à consumérisme et consommation. Le désir et l’achat d’un bien ont à la fois à voir avec la satisfaction d’un besoin réel et avec autre chose. Sans accès aux biens premiers, la vie est en danger mais ces biens premiers qui prennent plusieurs formes et se parent de différentes qualités et d’usages différenciés sont aussi en même temps, comme les autres biens pensés comme superflus, des représentations de l’être social. Ce que l’on peut acheter ou pas, ce que l’on achète effectivement, ce que l’on consomme ou les pratiques de consommation situent le sujet dans un tout social, le situent par rapport aux standards admis mais aussi par rapport à une hiérarchie de la puissance, du goût etc. (...)
Ce qui est en jeu dans la prostitution c’est le corps et l’intimité. On est son corps, mais aussi on a son corps ; c’est parfois la seule chose qu’une personne a, ou a le sentiment d’avoir dans le dénuement le plus complet. Mais dans la prostitution c’est aussi un corps qui a été souvent et qui est objet du désir, de la concupiscence d’un autre ; la personne voit dans son corps quelque chose que l’autre veut, quelque chose qui a été touché et pris de force parfois, quelque chose qui a déjà fait l’objet de transactions (cadeaux et argent donnés à la petite fille ou au petit garçon violé-e). Cette personne déjà chosifiée et dévalorisée va alors proposer à nouveau ce corps comme marchandise contre de l’argent.(...)