
Pour des personnalités et associations, la proposition de loi contre la haine sur Internet ne répond pas aux besoins des victimes et mènera à une censure de la part des plateformes numériques.
Tribune. Ce mardi, l’Assemblée nationale examinera la proposition de loi de « lutte contre les contenus haineux sur Internet ». Nous, militantes et militants féministes, LGBTI et antiracistes, dénonçons ce texte qui ne répond pas à la nécessité de lutter contre la haine en ligne et le cyberharcèlement, et ouvrira la porte à une censure hors de tout contrôle judiciaire.
Cette loi obligera en effet les plateformes à supprimer en 24 heures tout contenu « manifestement illicite » qui leur sera signalé. Mais la mission de juger si un contenu est illégal ne sera alors plus entre les mains de la justice : elle sera déléguée aux plateformes. Celles-ci devront mettre en place des procédures pour décider seules si des contenus sont illégaux, et les supprimer si c’est le cas. Si elles manquent à cette obligation de suppression, elles risqueront de très lourdes sanctions financières. A l’inverse, supprimer un contenu licite ne comportera aucun risque. Et cela ne gênera pas les plateformes, qui pratiquent déjà massivement la suppression, ou la limitation de la diffusion de contenus parfaitement légaux.
Un des dangers de cette loi est qu’elle se retourne contre les journalistes, militantes, chercheuses et chercheurs qu’elle prétend défendre. Alors que le discours raciste est fortement banalisé dans le champ médiatique, nul ne sait exactement quels contenus devront être considérés « manifestement illicite » en ligne. Le système de sanction poussera les plateformes à supprimer tout contenu sur lequel un doute existe (...)
La loi poussera les plateformes à durcir ces filtres automatiques, risquant d’entraîner une censure massive de contenus licites, et en premier lieu les contenus produits par celles et ceux qui dénoncent les violences en ligne. De plus, la version actuelle du texte prévoit la sanction de celles et ceux ayant « abusivement alerté » sans que soit défini l’abus, qui va les sanctionner, et de quelle façon. Cette mesure peut dissuader d’alerter sur des contenus haineux. (...)
Les injures sexistes, LGBTI-phobes et racistes en ligne sont fréquentes et largement impunies. Lutter réellement contre elles nécessite autre chose qu’un désengagement de l’Etat dissimulé derrière un coup de communication. En mettant en place sciemment le contournement de la justice et la sous-traitance de la censure au privé, la loi ouvre par ailleurs la voie à des tentatives de censure administrative. Des signalements abusifs ont déjà eu lieu (...)
Les pistes d’amélioration du système judiciaire sont pourtant nombreuses. Les plaintes pour injures, agressions, discriminations sont trop peu nombreuses à aboutir. Parmi elles, rares sont celles où les caractères sexiste, homophobe, transphobe, raciste sont effectivement retenus au jugement. Mais les outils juridiques pour des procédures accélérées existent déjà. La loi sur la liberté de la presse permet des procédures en référé, dans des délais très courts, contre la diffusion de certains propos. Donner réellement accès à ces outils juridiques aux victimes nécessite plus de juges, de tribunaux, des procédures plus simples, et donc d’augmenter les moyens alloués à la justice. C’est ce que le gouvernement ne veut pas faire.