
C’est l’histoire d’un harcèlement judiciaire. Celui de Fabien, militant à qui la justice réclame sa cartographie génétique pour nourrir le FNAEG, fichier national à gueule de Golem. Rencontre avec un rétif qui a refusé de saliver sur commande.
(...) Le 16 novembre 2017, alors qu’il anime à Saint-Gaudens (Haute-Garonne) une table de presse sur les dangers du compteur Linky, quatre policiers déboulent. Fabien est « invité » au commissariat pour signer un papier. En toute cordialité, le jeune anar est menotté sous « l’œil stupéfait des passants », comme il précise. Un vieux avec qui Fabien s’entretenait de la cochonnerie d’Enedis tente de calmer l’affaire. Mauvaise idée. Traîné lui aussi au comico, il en sera quitte pour un rappel à la loi. Chez les flics, c’est la fête. La bleusaille se congratule d’avoir enfin mis le grappin sur « le mec à béret ». Tout à leur joie, ces messieurs de l’ordre se lâchent : « Anarchiste de merde », « Sale gaucho »... Et comme promesse : « On va t’envoyer à la maison d’arrêt de Seysses. »
Fabien réalise que la signature qu’on lui demande est d’un genre particulier. Génétique. On en veut à son ADN. Sauf que le militant n’a pas l’intention de cracher sur un buvard, ni de se laisser badigeonner l’intérieur de la joue. Il est des intimités moléculaires qu’on ne partage pas avec n’importe qui. Dehors, les soutiens s’organisent et donnent de la voix. Pas habitués à ce genre de pression, les képis de Saint-Gaudens finissent par lever la garde à vue au bout de sept heures. Le squatteur mal rasé est finalement libéré avec un rendez-vous au tribunal d’instance de Saint-Gaudens le 1er mars. Alors qu’il avale un gorgeon de bière, on lui demande : « S’ils t’ont arrêté à ce moment-là, c’est qu’il y a eu un précédent ? » Fabien esquisse un sourire : « Oui. Le parquet de Toulouse avait demandé mon fichage ADN suite à un procès que j’ai eu il y a un an et demi. C’était durant le mouvement contre la loi Travail. Je m’étais opposé à l’interpellation d’un sans-abri qui se faisait un peu violenter par une patrouille vers le Capitole. J’ai essayé d’intervenir de la manière la plus pacifique possible, mais c’est parti en mini-émeute. J’ai été jugé et condamné. » « Pour quel motif ? » Sur le visage de Fabien, un second sourire, tirant sur l’espiègle : « Pendant la bousculade, la radio portative du flic est tombée par terre et je me suis un peu barré avec... » Ce type est un aristocrate de la litote. Il précise dans la foulée : « Sans forcément réfléchir ! Je me suis fait arrêter un peu plus loin, je l’ai rendue, mais c’était trop tard. Ils m’ont embarqué pour vol, rébellion, violence. » Alors qu’il est entravé, une policière hurle qu’il lui fait mal. Grossière ruse flicardière pour gratter quelques dommages et intérêts lors du jugement. Las, le juge prononcera la relaxe pour l’accusation de rébellion avec violence, mais retiendra le vol. Aux mains de la police toulousaine, Fabien joue déjà la tête de pioche. « J’ai refusé la signalétique, la prise d’empreintes digitales et de voir la procureure. » (...)
Une menace permanente
Jugé au printemps 2016 pour l’affaire toulousaine, Fabien se fait donc à nouveau serrer un an et demi après. A-t-il commis un nouveau délit ? Un second vol inopiné de radio policière ? Que nenni. Rien. On en veut juste à sa salive. (...)
Le FNAEG est l’acronyme pour Fichier national automatisé des empreintes génétiques. Une jospinade créée pendant la cohabitation de 1998, qui répertorie aujourd’hui le profil génétique de quelque 3 422 786 pékins (chiffres de l’année 2016). Durée de conservation des données : 40 ans. Une paille. La liste des délits concernés va des atteintes sexuelles sur mineur aux vols et escroqueries en passant par les crimes contre l’humanité. Sont exclus les délits routiers et… les délits financiers. (...)
En 2018, la pieuvre sécuritaire est toute à ses aises pour déployer ses tentacules dans une indifférence de chloroforme. Fabien : « Le soutien populaire autour de la question répressive n’a aujourd’hui plus rien d’évident. C’est la logique de la peur qui prédomine. Les gens me disent : ‘‘ On comprend que c’est un peu extrême, ce qui vous arrive, mais en même temps avec le terrorisme… ’’ Ou encore : ‘‘ Pourquoi vous vous inquiétez si vous n’avez rien à vous reprocher ? ’’ » On repense alors au chanteur. Cet irréductible libertaire qui bramait joliment au siècle dernier : « Vous n’aurez pas ma fleur / Celle qui me pousse à l’intérieur » [2].