
Et si on arrêtait d’être « contre », pour proposer des solutions concrètes ? Pour transformer l’agriculture et inventer d’autres manières d’apprendre. Et changer notre regard sur nous-même et sur le monde. C’est à ces défis que Jessica et Samuel ont voulu répondre
Ces deux trentenaires, installés dans la Drôme, se lancent dans la création d’un « Oasis en tout lieu » – un concept initié par l’agriculteur et écrivain Pierre Rabhi – qui allie ferme en permaculture, espace d’apprentissage basé sur des pédagogies alternatives et lieu d’accueil pour tourisme solidaire. Objectif : créer leur emploi et construire leur projet de vie, en lien avec un territoire et ses habitants, tout en réinventant les modes de production et d’échange. Témoignage d’un cheminement vers la construction d’une utopie concrète.
Trentenaires engagés, parents de trois jeunes enfants, nous avons quitté il y a 18 mois la ville de Lille avec cette question en tête : et si on arrêtait d’être « contre » ? Nous sentions le besoin de tourner le dos à « l’ère des problèmes » et le désir de poser notre pierre dans « le champ des solutions ». C’est ainsi qu’est né le projet de l’Oasis de Serendip.
Nous sommes ingénieurs agronomes, avec deux parcours très différents : Jessica est le rat des villes et Samuel celui des champs. (...)
Jusqu’à récemment, nous avons beaucoup été « contre » : la guerre en Irak, les OGM, la réforme des retraites,… C’est en lisant et en rencontrant des personnalités comme Marc Dufumier, Pierre Rabhi, Antonella Verdiani, Caroline Soost, Isabelle Peloux que nous avons réalisé qu’il est possible d’utiliser notre énergie autrement, en nous mettant au service du respect de l’humain, de la terre, et d’un partage plus équitable des ressources. Qu’il est possible de produire efficacement et en quantité sur de petites surfaces agricoles. Que chaque école devrait avoir accès à un carré de terre et à des outils d’artisanat pour permettre aux enfants d’expérimenter le jardinage, l’agriculture, la création. Que la communication non-violente et la bienveillance sont indispensables pour que l’enfant se construise sur des bases solides. Que tous peuvent apprendre dans la joie, si chacun avance à son rythme et avec les outils qui lui conviennent. Qu’il est précieux – et sans doute plus encore dans les années qui viennent – de connaître les fruits et légumes de saison et les plantes comestibles, de savoir les cultiver, et les cuisiner. Que chacun peut faire sa part pour construire un monde plus juste, sans attendre que le changement vienne d’en haut.
La création d’une ferme nous a semblé le projet le plus urgent et le plus judicieux. (...)
Cet Oasis aura trois pôles d’activité interdépendants : agricole, éducatif, touristique. Une production agricole d’abord, avec la plantation d’une forêt comestible, et l’application des principes de la permaculture pour utiliser au mieux les ressources. Le concept de forêt comestible ou forêt jardin est encore peu connu en France, mais il s’agit de cultiver sur un espace restreint le plus possible d’espèces générales comestibles ou utiles à l’homme, en favorisant les synergies. (...)
Deuxième volet, nous prévoyons l’installation d’hébergements touristiques accessibles à toutes les bourses – camping autogéré, chambres d’hôtes, gîtes. Et enfin, d’une
« école » de 7 à 117 ans, pour permettre à chacun d’apprendre à son rythme et à sa manière. Les pédagogies alternatives (Montessori, Steiner, Freinet) auront leur place dans cette école, et des stages permettront d’approfondir ses connaissances en permaculture, en cuisine des produits de saison, en jardinage – pour les enfants et les adultes, pendant les vacances, et plus tard sur le temps scolaire.
Cultiver les « effets de lisière »
Nous voulons favoriser les interactions entre les différents publics – habitants, travailleurs, vacanciers, enfants, adolescents, adultes… (...)
Nous souhaitons construire cette oasis en lien avec le territoire sur lequel nous vivons, celui de la vallée de la Drôme, la si jolie Biovallée. Nous voulons associer les habitants de cette vallée à la plantation et à l’entretien de la forêt comestible, pour qu’ils se l’approprient, et en récoltent les fruits le moment venu. Notre objectif est que chaque arbre planté ait un parrain ou une marraine, du village d’à côté ou d’un peu plus loin, pour que cette forêt comestible soit une aventure collective.
Cette ouverture de l’Oasis au monde est capitale. Nous ne voulons pas créer un lieu de vie et d’expérimentation qui resterait un cocon pour privilégiés, « protégé » du reste du monde. Toutes les bonnes volontés y seront bienvenues pour aménager le lieu, planter la forêt comestible, construire des bâtiments d’accueil… Mais aussi pour mesurer, étudier, calculer tout ce qui peut l’être, pour ensuite pouvoir partager nos résultats agricoles, énergétiques, éducatifs.
L’utopie au service du réel
Notre projet peut évidemment paraître naïf. Et de ce fait, difficilement réalisable. Mais nous croyons en la capacité collective à construire plutôt que de détruire. (...)
Nous avons identifié des lieux qui peuvent accueillir notre Oasis et espérons pouvoir nous y installer dans les mois à venir. Une campagne de récolte de fonds (sur KissKissBankBank) est en cours pour quelques jours encore. Quelle que soit son issue, l’aventure de l’Oasis ne fait que démarrer.
Jessica et Samuel Bonvoisin