Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
le Monde
Garantir le droit à mourir dans la dignité
Maurice Tubiana, professeur de cancérologie, directeur honoraire de l’Institut Gustave-Roussy
Article mis en ligne le 19 décembre 2012

Pendant toute ma carrière professionnelle, j’ai soigné des patients atteints du cancer à Villejuif (Val-de-Marne), j’ai pendant un demi-siècle vécu au milieu d’eux.

De plus, j’ai 93 ans. Pour moi, la fin de vie n’est plus une perspective lointaine et j’assiste chaque jour à la dégradation de ce corps qui fut source de tant de joies et dont la déchéance m’humilie.

Le drame de la vieillesse est qu’elle vous exclut de la société. Un médecin, par exemple, n’est plus capable de soigner, un scientifique de créer des concepts originaux ou un écrivain d’écrire.

NE PLUS SOUFFRIR

Par charité, il faut les empêcher d’altérer l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes car ils ne sont plus que la caricature de ce qu’ils ont été. Le seul objectif de la vie est devenu de survivre et on se demande à quoi bon ?

La religion peut-elle influencer ce désir d’en finir ? J’ai eu la responsabilité de soigner de hauts dignitaires des différents cultes pratiqués en France. Devant la maladie et la souffrance, ils réagissent comme les autres hommes et veulent d’abord être soulagés, ne plus souffrir.

L’idée que la maladie est une punition divine qu’il faut accepter et subir pour obtenir une rédemption n’est plus exprimée. Dieu a cessé d’apparaître comme un procureur qui punit pour des fautes. La foi peut soulager.

En revanche, elle ne protège pas contre la maladie et ne peut hâter la guérison. Dieu est un Dieu d’amour, mais il n’intervient pas dans le domaine de la santé.

L’entourage peut consoler, aider à traverser une phase difficile et encourager en donnant le sentiment qu’on est encore utile, qu’on n’est pas seulement un corps en lente décomposition, mais qu’on peut servir les autres, les réconforter, voire leur donner un exemple bénéfique de sagesse, ou de courage. (...)

La seule façon d’éviter chez le vieillard le développement d’un sentiment de culpabilité et d’angoisse est de rendre possible l’euthanasie, grâce à laquelle il reste maître de son destin. Certes, il ne faut pas méconnaître les risques de cette mesure si elle est mise en oeuvre sans les précautions nécessaires.

Il ne faut pas qu’un découragement à la suite, par exemple, de douleurs qu’il serait possible de maîtriser, entraîne le désir de disparaître, alors qu’il reste possible de les contrôler grâce aux progrès de la médecine.

Le recours à l’irréversible doit être limité aux cas incurables et impossibles à améliorer. Il faut donc prévoir un entretien avec un ou deux conseillers compétents et indépendants, sans l’immixtion de personnes ayant intérêt à la disparition, ou au contraire à l’existence, du candidat à l’euthanasie. (...)

Il faut, en parallèle au droit de vivre, introduire le droit de mourir dignement. Cette assurance de pouvoir, le moment venu, terminer dignement sa vie permettrait au vieillard d’échapper à la crainte d’une déchéance finale.

Si vivre entraîne des tortures que plus rien ne justifie il pourra y mettre un terme, le vieillard échappera ainsi à cette angoisse qui rend la phase ultime d’une existence si inconfortable pour soi et pour son entourage.

Ce serait un immense progrès, mais il faut éviter les dérives (...)

Les médecins et les législateurs ne doivent pas intervenir à ce niveau. Ils peuvent simplement offrir à ceux qui considèrent, pour des raisons valables, que leur vie est devenue une torture physique, ou mentale, un moyen d’y mettre fin, sans remettre en cause les lois et les usages sur lesquels la société est fondée, et la responsabilité de chacun vis-à-vis de son entourage et de la communauté. (...)

Le rôle de l’entourage est crucial, mais varie selon les cas, non pas tant en fonction des moyens financiers que du temps que l’entourage peut consacrer au vieillard, et de la force et de la profondeur des liens affectifs entre le vieillard et son entourage. Le vieillard doit limiter ses exigences pour ne pas trop perturber la vie familiale.

La famille doit comprendre que les actes sont importants, mais que l’atmosphère de compréhension, de compassion, est plus importante encore. Il faut avoir, de part et d’autre, beaucoup de diplomatie et d’indulgence ainsi qu’une farouche volonté d’éviter ou de limiter les conflits.

Un médiateur, un "sage", est donc utile pour éviter les malentendus. (...)

Un point périodique où chacun puisse s’exprimer permet d’éviter les rancoeurs et les non-dits. Patience et indulgence réciproques peuvent résoudre bien des conflits mais ne peuvent pas les éviter. (...)

L’euthanasie ne doit être envisagée que si toutes les autres voies ont été explorées et que les souffrances sont liées à l’état du vieillard, qu’aucune action de l’entourage ni la mise en oeuvre de soins palliatifs ne peuvent améliorer.