
Pierre Gilbert rappelle que les enquêtes empiriques existantes sont loin de démontrer la validité de cette représentation véhiculée par l’usage du terme « ghetto ». Pourtant c’est elle qui fonde la réorientation de la politique de la ville depuis une dizaine d’années et le programme de rénovation urbaine qu’elle met en œuvre.(...)
La relégation spatiale, pilier des théories du ghetto, reste pourtant à l’état de postulat et repose sur un raisonnement discutable.(...)
Malgré la dégradation de l’image de ces quartiers, on trouve là une certaine continuité avec le rôle de promotion résidentielle qu’ont pu jouer les grands ensembles dans les années 1960 et 1970 pour les ménages issus des bidonvilles et des quartiers insalubres. Est ainsi battue en brèche l’idée selon laquelle l’arrivée en cité HLM correspond nécessairement à une forme de déclassement résidentiel et social. Par ailleurs, malgré les contraintes auxquelles ils font face, les habitants disposent toujours de marges de manœuvre sur le marché du logement, l’arrivée dans un domicile ne se présentant jamais, y compris pour les plus démunis, comme le seul résultat de contraintes mais toujours comme le fruit d’ajustements complexes entre une série de contraintes et la réalisation de choix (Authier et al., 2010). Ces arbitrages peuvent nourrir un certain attachement au quartier. Enfin, si l’arrivée en ZUS ne se présente pas uniquement comme le résultat d’une contrainte, c’est que certains peuvent tout simplement souhaiter y habiter. La recherche de l’entre-soi n’est pas seulement le fait des classes supérieures et la propension à habiter dans un environnement familier, à proximité des réseaux amicaux et familiaux, est depuis longtemps établie comme une caractéristique des catégories populaires (Bozon, 1984 ; Hoggart, 1970 ; Bacqué et Sintomer, 2002 ; Bonvalet, 2003).(...)
Avec l’objectif louable d’alerter sur les difficultés de cette population, la notion de ghetto tend à se banaliser. Les arguments sur lesquels elle repose (la relégation et les « effets de quartier ») paraissent pourtant fragiles. Au lieu de souligner la forte mobilité des habitants et l’ambivalence des effets des cités HLM sur leur trajectoire sociale, la notion de ghetto offre un point de vue statique et essentiellement négatif. La représentation qui en résulte tend au final à renforcer la vision déjà fort répandue de ces quartiers comme des univers sociaux séparés où se développeraient des modes de vie présentant un danger pour le corps social.(...)