
Entretien exclusif | Le journaliste qui fait trembler les Etats-Unis détient les documents qu’Edward Snowden a emportés en quittant la NSA. Il a accepté de nous parler.
Depuis cinq mois, perché sur les hauteurs de Rio de Janeiro, Glenn Greenwald, 46 ans, publie chaque jour sa dose de révélations sulfureuses. L’ancien avocat, ex-blogueur reconverti dans le journalisme de combat au Guardian, est devenu une superstar médiatique. Nourri par Edward Snowden, un ancien analyste de la National Security Agency, il révèle au monde entier l’ampleur de la surveillance à laquelle se livre la plus secrète des agences de renseignement américaines.
Les grands journaux (Le Monde, Der Spiegel, El País, The New York Times…) exploitent sans relâche ses documents ; l’Etat américain, lui, aimerait bien remettre la main dessus. (...)
Est-ce que vous avez peur ?
J’ai conscience des risques, y compris physiques : je suis en possession de milliers de documents secrets, qui dérangent la moitié des agences de renseignement de la planète. Comme il s’agit de la plus grosse fuite de l’histoire de l’espionnage américain, le gouvernement a l’impression d’avoir perdu tout contrôle, d’avoir été attaqué dans sa légitimité, et la pression est immense pour qu’une tête soit placée sur une pique.
Puisque Edward Snowden est réfugié en Russie, je suis le deuxième sur la liste [dans une récente interview au Washington Post, Eric Holder, le secrétaire à la Justice américain, a réfuté toute velléité de l’administration de poursuivre Greenwald].
Les autorités américaines essaient-elles de vous intimider ?
Et bien, la police britannique a interpellé mon compagnon à l’aéroport d’Heathrow, l’a gardé enfermé pendant neuf heures au nom d’une loi antiterroriste, en le menaçant de poursuites. Le jour suivant, le gouvernement américain a indiqué anonymement dans une dépêche de Reuters qu’il s’agissait « d’envoyer un message ». N’est ce pas de l’intimidation ?
Les autorités américaines essaient de faire passer du journalisme pour de l’espionnage en tordant la réalité : Keith Alexander, général 4 étoiles qui dirige la NSA, a même déclaré que nous « vendions ces documents », un crime passible de la prison à perpétuité.
“Je refuse d’être excommunié
pour avoir simplement pratiqué
mon métier de journaliste." (...)
Vous reste-t-il beaucoup de documents à publier ?
La majorité. Nous en parlons régulièrement avec Snowden par l’intermédiaire d’un chat sécurisé. Je ne peux pas dire que le pire est à venir – les gens s’habituent à ces révélations – mais il y a plusieurs documents sur ce que collecte la NSA et sur la façon dont ils le font qui vont choquer. Je suis assis sur une montagne de documents, et chacun d’entre eux est digne d’intérêt.
J’ai été contacté par des journalistes du monde entier, qui veulent travailler avec moi sur les dossiers qui concernent leur pays. Légalement, je ne peux pas me contenter de leur donner ce qui les intéresse, parce que je me transformerais en source. Je peux seulement être un journaliste, alors je dois contribuer à leurs enquêtes, co-signer leurs articles. C’est extrêmement chronophage mais je ressens de la culpabilité à ne pas pouvoir travailler plus vite. J’ai d’ailleurs embauché un assistant. (...)
Quand vous créez une situation dans laquelle un whistleblower n’a d’autre issue que celle de finir sa vie en prison, c’est dissuasif. Pourtant, Snowden a été le témoin de ce qui est arrivé à Manning, et ça ne l’a pas arrêté. Le courage est contagieux [c’est aussi la devise de WikiLeaks, ndlr], et les whistleblowers inspirent des vocations.
C’est un processus contre lequel le gouvernement ne peut rien. D’une certaine façon, leur brutalité ne fera qu’empirer les choses. Plus l’Etat montre à quel point il est abusif, plus des citoyens penseront qu’il a besoin d’être défié. A Hongkong, avec la documentariste Laura Poitras, nous voulions faire honneur au courage de Snowden en travaillant dans le même esprit. Avant de se lancer, les journalistes du Guardian ont réagi comme une institution traditionnelle, en analysant les risques. Puis ils ont été « contaminés » à leur tour. (...)