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Mediapart
Grève à l’école : « Nous sommes au point de rupture »
Article mis en ligne le 15 janvier 2022

Des dizaines de milliers de personnes dans les rues, une forte proportion de grévistes, et une mobilisation qualifiée d’« historique » par ses organisateurs. Jeudi, les personnels des écoles, collèges et lycées ont exprimé leur « ras-le-bol » de Jean-Michel Blanquer.

Marseille (Bouches-du-Rhône), Paris, Rouen (Seine-Maritime).– « Méprisés, exténués, sous-payés : les profs sur le pavé. » Tenue à bout de bras quelque part sur le boulevard du Montparnasse (VIe arrondissement) à Paris, jeudi 13 janvier, la pancarte bricolée sur un modeste bout de carton résume mieux que tous les discours les raisons qui ont poussé les personnels de l’éducation nationale à manifester partout en France.

« Nous sommes face à des protocoles qui s’enchaînent et qui ne sont pas tenables à notre niveau », raconte Julie, 41 ans, qui enseigne en maternelle à Rognac, une petite commune proche de Marseille. Syndiquée à l’UNSA, elle défile pour dénoncer la gestion de la crise sanitaire dans l’éducation.

« On se disait qu’il fallait tenir, qu’il ne fallait pas encore alourdir la situation des parents… Mais là, ça ne passe plus ! », assure-t-elle, décrivant une école totalement désorganisée depuis la rentrée de janvier : « Les enfants sont malades, les enseignants sont malades, les enfants des enseignants sont malades. Et face à cela, les parents sont sur les nerfs. Il y a un climat de tension permanent. » (...)

« Non, l’école n’est pas ouverte comme le prétend notre ministre Jean-Michel Blanquer. En tout cas pas pour tous : on doit faire cours à 5 élèves un matin, puis 11 l’après-midi, puis 20 le lendemain. Et pour ceux qui restent chez eux, je dois travailler deux ou trois heures chez moi le soir afin qu’ils ne perdent pas pied. » (...)

C’est à l’appel d’une dizaine de syndicats des premier et second degrés, dans le public et le privé, de l’enseignement agricole jusqu’aux lycées professionnels, que la mobilisation a eu lieu. Dans toutes les grandes villes de France, au moins 77 500 personnes ont répondu à l’appel, selon le ministère de l’intérieur, qui a recensé 136 points de mobilisation.

Et ils étaient au moins 8 200 à Paris, selon la préfecture de police – un chiffre qui paraît sous-estimé au vu de la fréquentation de la manifestation aux alentours de 15 heures, constatée par Mediapart. Dans la capitale, près de 200 écoles sur environ 800 ont été totalement fermées.

Les cortèges ont rassemblé des profs, des assistant·es d’éducation, des infirmières et des médecins scolaires, mais aussi des dirigeant·es d’établissement et même des inspecteurs et des inspectrices de l’éducation nationale, avec le soutien de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE, classée à gauche).

Ils étaient encore plus nombreux à faire grève : 75 % des enseignant·es dans les écoles et 62 % dans les collèges et lycées, selon les syndicats. Mais seulement 38,5 %, selon le ministère de l’éducation nationale, qui ne prend traditionnellement en compte que les grévistes dont la journée de travail aurait dû démarrer à 8 heures ou à 8 h 30.

Sur le pavé, même des syndicats peu habitués à manifester (...)

« Cette manifestation doit être un signe pour le ministre, nous sommes arrivés au point de rupture avec lui, la colère est générale contre son action, avertit Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU, le premier syndicat du primaire. Il n’accepte pas la contradiction : en réunion, il nous entend mais ne prend jamais en compte nos positions dans ses décisions. » (...)

Les candidats de gauche à la présidentielle présents

Le constat vaut pour la région parisienne comme pour toute la France. « C’est un gros succès », salue ainsi à Rouen Marie-Hélène Duverger, syndicaliste Sud éducation, micro à la main, au milieu de la foule. Son syndicat annonce la présence de 2 000 manifestant·es. Une source policière chargée du traditionnel comptage évoque de son côté « 1 200 participants », soulignant qu’il s’agit « d’une grosse mobilisation » pour la ville. (...)

L’occasion était immanquable pour les candidat·es de gauche à la présidentielle. Si Yannick Jadot a manifesté à Grenoble, Anne Hidalgo, Christiane Taubira, Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon se sont affichés quelques minutes dans le défilé parisien.

« Jean-Michel Blanquer a à moitié démoli l’école, mais il a réussi à mettre tout le monde d’accord. Je pense qu’un crétin pareil est utile, il faut laisser leur chance aux bons à rien », a balancé le leader de La France insoumise devant les journalistes. La candidate du Parti socialiste, elle, a eu moins de succès : copieusement sifflée et huée dans un mouvement de foule, elle a rapidement rejoint la tête de la manifestation, aux côtés de l’intersyndicale, plus paisible.
Des protocoles changeant constamment, des personnels épuisés

La situation sanitaire, que tous et toutes s’accordent à juger non maîtrisée dans les établissements scolaires, est bien l’élément déclencheur de cette journée de colère (...)

Dans ce chaos, difficile de faire avancer ses élèves dans le programme : « Depuis le début de cette pandémie, je ne suis plus enseignante. Je fais des tas de choses, je vérifie les tests, j’appelle les parents, je rassure les enfants mais je n’enseigne plus. »
Manque de masques, de gel, de capteurs de CO2

Le manque de moyens est au cœur des revendications, la crise sanitaire ne faisant que révéler les difficultés préexistantes. Comme beaucoup, la Marseillaise Élodie insiste sur le fait que la crise sanitaire est venue révéler des problèmes sous-jacents dans l’éducation. « Dans notre école, il y a sept membres du personnel malades, des maîtresses et des Atsem… Et un seul remplacement », précise-t-elle. (...)

Ils et elles racontent le manque de masques, de gel, de capteurs de CO2. « Il est très difficile pour des élèves de CP d’apprendre la langue alors que leur maîtresse porte toujours un masque. On aimerait avoir des masques transparents pour qu’ils ne commencent pas leur scolarité avec de grosses difficultés en français… »

« Depuis 18 mois, nous réclamons des moyens de protection contre l’épidémie, et on nous annonce une livraison de masques chirurgicaux pour fin janvier !, rappelle Guislaine David, pour le SNUipp-FSU. Cela fait aussi des mois que nous demandons des capteurs de CO2 dans les classes. Au début, on nous expliquait que ça ne servait à rien… » (...)

« Les revendications débordent la question sanitaire, le manque de moyens est criant, complète Jules Siran, de Sud éducation. Il faut immédiatement des recrutements, et plus globalement un plan d’urgence pour l’éducation. » « On est arrivés à un tel degré d’épuisement du service public de l’éducation qu’il était impossible qu’il parvienne à absorber une pandémie », juge pour sa part Cécile, représentante de la FCPE au lycée parisien Hélène-Boucher (XXe arrondissement).

« Il y a beaucoup de souffrance au travail pour les personnels des établissements scolaires, et la souffrance est aussi grande pour les élèves, qui vont mal psychologiquement, souligne-t-elle. Face à ces difficultés immenses, on a des protocoles qui changent constamment, et un ministre hors sol, qui tient des discours déconnectés de la réalité. »

Sur la question du manque de moyens, il n’y a peut-être pas plus remonté·es que les AESH, qui accompagnent les élèves en situation de handicap, avec un statut très précaire. Leur rentrée scolaire s’est déroulée dans un chaos peut-être plus grand encore que celui des années précédentes.. (...)

. « Nous sommes les invisibles. Après avoir vécu une rentrée chaotique, nous n’avons toujours aucune protection pour travailler. Ni masque ni gel, alors que certains des enfants que nous accompagnons ne peuvent pas porter de masque, nous sommes en danger ! » (...)

« Nous n’avons même pas un vrai statut, nous ne sommes pas considérées comme un vrai métier, s’indignent-elles. Ni vrai statut, ni vrai salaire, ni formation. On souffre. Nous avons assez subi et nous n’allons plus nous taire. » (...)

D’autres comparent la situation des personnels des écoles, collèges et lycées avec la leur. À Paris, un petit cortège vient de Nanterre, composé de celles et ceux qui se font appeler les « sans facs ». Depuis le 27 octobre, vingt et un étudiant·es sans affectation occupent le bâtiment de la présidence de l’université, pour protester contre le manque de places à l’université. Une dizaine d’entre eux est venue manifester. (...)

Jean-Michel Blanquer, rejeté par tous

Dans tous les cortèges, la cible des participants est toute trouvée. « Jean-Michel Blanquer, ministre réactionnaire, on va te mettre la misère », clame une pancarte rouennaise. Nombre de manifestant·es détournent la phrase de leur ministre qui a assuré le 11 janvier qu’on « ne fait pas grève contre un virus ».

Un protestataire rouennais porte sur son dos une pancarte des plus explicites : « Oui, on peut faire grève contre un virus. Tout dépend duquel on parle. » Le tout accompagné d’une photo du ministre grimé en virus du Covid-19. (...)

Claire, enseignante en primaire dans le XVe arrondissement de Paris, liste avec désarroi ce qu’elle considère être des marques de mépris : « Il nous traite d’absentéistes, il annonce du jour pour le lendemain un protocole sanitaire dans un article de presse payant, puis un recteur nous explique qu’ils vont faire appel à des jeunes retraités ou des étudiants pour nous remplacer… On est déconsidérés par notre propre ministre. »

Ne souhaitant plus traiter avec Jean-Michel Blanquer, l’intersyndicale a demandé à rencontrer directement Jean Castex après la manifestation. (...)

Le premier ministre « a répondu favorablement à la demande d’audience qui lui a été formulée », a annoncé Matignon dans la foulée.

Jean-Michel Blanquer était bien présent, mais à cent jours du premier tour de l’élection présidentielle, il a perdu le contrôle de la gestion de la crise : à l’issue de la réunion, il a annoncé la mise à disposition, sur demande, de « 5 millions de masques FFP2 » pour les enseignants de maternelle, ainsi que le recrutement de 3 300 contractuels « pour faire face à la crise »