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Handicap : des millions de personnes confinées depuis des années
Anne-Sarah Kertudo
Article mis en ligne le 8 mai 2020

Ces dernières semaines, tous les deux jours, j’ai publié des « Chroniques du handicap confiné » et, pour cela, j’ai interrogé des personnes en situation de handicap afin qu’elles me racontent l’impact et les conséquences de l’enfermement forcé créé par le confinement. La conclusion est que nombre de personnes handicapées sont confinées depuis des années.

Parmi ces témoignages, les personnes aveugles, malentendantes, en fauteuil ou ayant des difficultés à se déplacer disent souvent que le confinement n’a rien changé ou presque à leur quotidien. Aller et venir en liberté n’a jamais été pour elles une évidence dans une société qui s’est construite sans intégrer leur existence. Le regard et le jugement des autres incitent souvent les personnes handicapées mentales à ne pas sortir. Trop sensibles à l’agressivité des relations, les personnes autistes ou neuro-atypiques préfèrent elles aussi rester enfermées. Les Sourds et les malentendants sont habitués au sentiment de n’être qu’au minimum de leurs capacités relationnelles. Toutes ces réunions où on ne les invite pas, tous ces professionnels qui les reçoivent sans qu’un dialogue fluide puisse s’installer, tous ces services publics qui ne sont pas en capacité de les accueillir faute d’interprète en langue des signes ou de dispositif de transcription écrite les ont préparé à un échange souvent réduit à l’essentiel.

Ces femmes et ces hommes de tous les âges m’ont aussi dit être déjà bien familiarisés aux situations d’isolement et de rupture sociale. Ils m’ont paru nombreux, enfin, à ne pas être déstabilisés par cette crise exceptionnelle, tant leur résilience est grande. Un monde où rien n’est prévu pour vous vous oblige à vous adapter à chaque instant.

Dans sa volonté de se réinventer, notre Président devrait s’entourer de conseillers en situation de handicap, experts pour penser le monde autrement. (...)

Maintenant que chacun a expérimenté l’empêchement de se déplacer, de se rencontrer et de communiquer librement, on est en droit d’espérer un mouvement solidaire pour que la libération que constitue le déconfinement soit collective et généralisée.

Pourtant, le déconfinement inquiète beaucoup de personnes en situation de handicap. Je suis moi-même aveugle et mes déplacements en ville dépendent largement des autres : on me guide jusqu’à la porte du bus, on me prévient des obstacles sur le trottoir, j’ai besoin de passants sympas pour m’aider à retirer de l’argent au distributeur... Le bus pourrait s’ouvrir toujours face à une même marque podotactile, les trottoirs pourraient être conçus pour une circulation facile avec des repères au sol, les distributeurs pourraient être équipés d’un système audio, autant de dispositifs qui permettraient d’être autonome. Aujourd’hui, l’autonomie des personnes aveugles dépend du bon vouloir d’inconnus croisés dans l’espace public. Que va-t-il se passer lorsque nous serons à nouveau dans la rue mais que le Covid-19 fera craindre tout rapprochement physique ?

De leur côté, les milliers de personnes sourdes ou malentendantes qui lisent sur les lèvres s’inquiètent des masques qui cacheront la bouche de leurs interlocuteurs (...)

pour l’heure, les personnes handicapées voient surtout les nouvelles difficultés qui vont se poser à elles. Il ne faut pas cacher que les décideurs actuels ne partagent pas ce désir urgent de plus d’écologie et de justice sociale mais nous, citoyennes et citoyens engagés et responsables, nous pouvons impulser ce changement.

Le handicap a toujours constitué un moteur d’innovation. On lui doit les SMS, conçus au départ pour les Sourds, la télécommande, inventée pour pallier la situation de handicap moteur... (...)

Chacun d’entre nous traverse l’existence avec son lot d’épreuves et d’épisodes de résilience. Les personnes handicapées partagent cette réalité. Ce n’est pas à travers le culte d’individus érigés en supers-héros du quotidien parce qu’ils ont simplement réussi à être acteurs de leur propre vie que le handicap nous apporte un enseignement.

L’enseignement se constitue dans un regard politique sur cette question, et les analyses pourraient nettement s’inspirer de l’histoire de ces citoyens pour construire l’avenir. Ceux qui s’inquiètent du revenu minimum universel qui incite les oisifs à rester chez eux pourraient observer cette population qu’on a toujours pensé incapable de participer à la vie sociale et qui ne se satisfait pas du versement de minimas sociaux. Un minimum de ressources permettant de se loger, de se nourrir et de vivre dignement devrait constituer un droit, qu’on travaille ou pas. (...)

Servons-nous du handicap comme d’un laboratoire, d’une source d’inspiration, et pour cela vivons ensemble déconfinés et à égalité ! (...)