
Qu’y a-t-il de plus scandaleux : que M. Bernard Arnault réclame la nationalité belge afin de préparer l’ « optimisation fiscale » de sa fortune — la première française et quatrième du monde — ou que les politiques publiques successives (en France, en Belgique, ailleurs) aient offert de telles possibilités à leurs contribuables les plus opulents ?
On ne peut libérer le marché des capitaux, laisser proliférer les paradis fiscaux, y compris en Europe, et se plaindre ensuite que les individus pour qui de telles décisions sont prises choisissent d’en tirer le meilleur profit. (...)
Le fait que des responsables de la droite française — et au premier rang l’ancien premier ministre François Fillon — se soient aussitôt portés au secours de M. Arnault signale assez que le problème dépasse très largement le comportement incivique d’un milliardaire ordinaire. Il n’est d’ailleurs pas invraisemblable que M. Arnault compte prochainement d’autres avocats. Ayant servi de témoin de mariage à M. Nicolas Sarkozy (1), ayant recruté nombre de personnalités politiques, de droite et de gauche, au sein de son groupe (Mme Bernadette Chirac, M. Nicolas Bazire, M. Renaud Dutreil, M. Hubert Védrine, M. Christophe Girard), ayant acheté le principal quotidien économique français — Les Echos —, les appuis ne devraient pas lui être mesurés. Des journalistes comme Guillaume Durand et Jean-Pierre Elkabbach n’ont jamais dissimulé l’admiration que leur inspirait la première fortune de France, par ailleurs grosse dispensatrice de publicité dans la presse.
Pourquoi ne pas rappeler aussi qu’il y a moins de dix-huit mois, lorsque M. Arnault a reçu le « prix Woodrow Wilson de la citoyenneté d’entreprise et du service public », il a été qualifié de « grand citoyen du monde » par l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, invité d’honneur de la soirée. Puis présenté comme soucieux de la place des femmes à tous les niveaux hiérarchiques, offrant des emplois aux handicapés, préoccupé par la protection de l’environnement et consacrant d’importantes ressources à la promotion des arts. M. Arnault, qui n’est pas très modeste, indiqua également à cette occasion aux journalistes qu’il avait été reçu par le président Barack Obama à la Maison Blanche et qu’il avait parlé avec lui de la situation économique mondiale (2).
Evoquèrent-ils déjà le niveau de la fiscalité pour les revenus les plus démesurés ? Il semble bien en effet que c’est là qu’il faut chercher, et pas très longtemps… (...)
Le chantage à la délocalisation qu’annonce sa passion soudaine pour la Belgique lui vaudra-t-il d’être bientôt apaisé, cette fois par M. François Hollande ? Lors de son intervention télévisée d’avant-hier, en tout cas, le chef de l’Etat, assez indulgent envers le contribuable le plus riche de la République, a estimé que celui-ci « aurait dû bien mesurer ce que signifie demander une autre nationalité. » M. Arnault sait « mesurer ». C’est-à-dire prendre la mesure des gens dont lui et sa fortune n’ont rien à redouter.