
Le dernier numéro de Sciences et Avenir consacré à la réfutation des différences entre hommes et femmes m’a paru tellement caricatural qu’il constitue une bonne illustration des dérives idéologiques de la science, aussi bien du côté sexiste que du politiquement correct constituant son pendant et qui n’ont tous deux rien à voir avec la science faussement invoquée dans un cas comme dans l’autre.
Une nouvelle étude qui établit tout au contraire que ces différences existent mais qu’elles ne sont que statistiques va nous permettre de faire le point sur la confusion entre nature et norme. (...)

Que les choses soient bien claires, il est tout-à-fait évident que les femmes sont victimes de préjugés qu’il faut combattre et qu’il y a des études tendancieuses qui doivent être dénoncées mais pas plus que l’antiracisme ne doit mener à nier les différences génétiques, le féminisme ne peut tenir lieu de science. C’est pour ne pas en discréditer la portée critique qu’une critique de la critique s’impose, sans doute plus sur la forme que sur le fond.
Ainsi, la manipulation de la science s’annonce dès le titre : "La science face aux idées reçues", de quoi vous clouer le bec, surtout que tout le dossier sera fait avec un point de vue complètement unilatéral et partisan, en faisant croire à un nouveau consensus ("une rafale d’articles") alors que le dossier est construit autour d’une seule étude très contestable. On pourrait croire qu’une telle assurance vient d’une découverte majeure qui soudain permettrait de clore la question de façon indiscutable, car c’est bien ce qu’on revendique ici, que cela ne fasse même plus question. Or, ce qu’on découvre, c’est juste une étude critique des études antérieures qui en disqualifie les résultats et dénonce leurs biais idéologiques, nous enjoignant à les refouler pour des raisons largement idéologiques. C’est bien là qu’une critique de la critique est indispensable. (...)
Il ne peut y avoir d’égalité qu’en reconnaissant nos différences, qu’il ne faut pas surévaluer, sans confondre le biologique (probabiliste) et le normatif (asservissement), le fait et le droit. (...)
nier les différences sexuelles est purement idéologique alors que cela prend la forme d’une dénonciation de l’idéologie, affaiblissant du coup la nécessité de l’égalité entre les hommes et les femmes dans leurs différences. (Critique de la critique) (...)
Ceci dit, on comprend bien à la fois la suspicion qu’on doit à tout biologisme nous traitant comme des animaux, de même que l’impatience des femmes à sortir d’une domination patriarcale pluri-millénaires. Les progrès ont été considérables, en très peu de temps (grâce à l’éducation, la machine à laver, la pilule, l’évolution du travail, etc.), mais il reste encore tant à faire, les inégalités devenant de plus en plus insupportables à mesure qu’elles perdent toute justification idéologique. Au-delà de ces inégalités qu’on voudrait tant effacer jusqu’à la différence sexuelle elle-même (ce que Colette ou Lou Andréas Salomé trouveraient si étrange), on peut mettre aussi ce rejet de l’injonction biologique sur le refus des femmes de toute identification (la femme, c’est l’Autre !), alors même qu’elles valorisent le corps souvent.
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Il n’y a pas de nature humaine, ce qui fait l’homme, c’est la culture qui s’oppose à la nature par construction, la raison qui nous détache du biologique, la civilisation qui réprime nos instincts, l’histoire qui prend le relais de l’évolution. C’est un nouveau stade de la séparation du sujet et de l’objet, de l’autonomisation de l’individu par rapport à son environnement, processus qui vient de loin et n’est pas réservé à notre temps. Tout n’est pas culturel pour autant. Il ne s’agit en aucun cas de nier les mécanismes biologiques étudiés avant, par exemple dans la différence des sexes, mais de ne pas les assimiler trop rapidement à ce que la culture y superpose de systématisation (dans la division actif/passif notamment). Pour les sociétés humaines, rien ne justifie de faire du biologique une raison suffisante, encore moins une norme culturelle, et il faudrait éviter les tentations scientistes de mettre sur le compte de la biologie ce qui résulte d’une longue histoire. (Un homme de parole)