
Et je viens d’apprendre que ça fait des mois qu’il est décédé… Je ne savais pas. Personne n’a rien dit, peut-être parce que personne ne savait ou que tout le monde s’en fichait, ce qui revient au même…
Autrefois, il n’y a pas encore si longtemps, l’association dans laquelle j’ai travaillé pendant des décennies aurait mis une annonce dans le journal pour son décès et en tous les cas aurait fait connaître sa disparition par un de ses nombreux canaux de communication. Je le sais parce que je m’occupais de ça. Et je sais que je l’aurais fait. Mais voilà, les choses ont changé et pas en mieux, comme tant d’autres choses importantes.
Marc était un être exceptionnel que j’ai accompagné dans son parcours pendant plus de vingt cinq ans. Un jour un de mes collègues particulièrement méprisant et imbu de lui-même, m’avait dit qu’un accompagnement qui dure autant d’années ne vaut rien. Il a pris les choses en main et quelques mois plus tard Marc s’est retrouvé à la rue… Et ça c’était insupportable, pour lui et aussi pour moi. Ça n’était jamais arrivé.
C’était en mai, un mois particulièrement pluvieux cette année-là. Il n’avait jamais été à la rue, on lui avait toujours trouvé une structure ou un logement. Il ne demandait que ça d’ailleurs et j’ai mis longtemps à le comprendre. Je l’ai accueilli chez moi, pendant quelques semaines et j’aurais dû faire depuis longtemps, mais voila. J’ai pu le constater et je viens de relire mes notes. Marc n’avait besoin de personne, qu’il se débrouillait bien tout seul, que la seule chose dont il avait besoin, c’est un toit, un endroit à lui.
Des toits il en a eu, beaucoup. (...)
Il y a de nombreux logements, l’un d’eux a fini calciné à cause d’une friteuse qu’un de ses compagnons de beuverie avait allumée avant de repartir alors que Marc s’était endormi. Il a bien sûr, été gravement intoxiqué… Cette fois-là, comme tant d’autres, il n’est pas mort. Un médecin de l’hôpital qui le connaissait, lui avait même dit qu’il était immortel. Ça l’a fait rire et moi aussi j’avais fini par le croire.
L’alcool, ce traître, l’avait amené deux fois en prison et presqu’une troisième (...)
Il était connu des gendarmes parce qu’il sillonnait les chemins et les départementales avec son vélo, avec des tracteurs, des moiss batts et d’autres engins aussi. Il aurait voulu passer son permis voiture, parce qu’il disait que c’est rien de conduire des petites voitures quand on sait manœuvrer les gros engins agricoles. Il ne savait ni lire ni écrire et même en prison il trouvait toujours quelqu’un pour lui prêter la main et il donnait des nouvelles.
Un jour il a débarqué chez moi, a sonné avec insistance, pressé. J’habitais alors au rez-de-chaussée d’une maison. Il avait refermé la porte du jardinet avec la clef qui était sur la porte en me prévenant qu’ils n’avaient pas le droit d’entrer, et j’ai vu arriver une voiture de police qui le coursait… Il était tombé et sa tête avait cogné fort le bord du trottoir. Il avait perdu connaissance et des passants ont alerté. Il s’est réveillé quand la police est arrivée est remonté sur son vélo. Ils voulaient juste l’emmener à l’hôpital m’ont-ils expliqué, pour le faire examiner. Lui ne voulait pas y aller. Nous avons parlé. J’ai dit que je garde son vélo mais qu’il fallait faire les examens, que c’était important. Il est parti avec eux en les insultant copieusement alors qu’eux lui parlaient gentiment. Presqu’incroyable aujourd’hui et pourtant vrai, je l’atteste. (...)
Il était connu des gendarmes parce qu’il sillonnait les chemins et les départementales avec son vélo, avec des tracteurs, des moiss batts et d’autres engins aussi. Il aurait voulu passer son permis voiture, parce qu’il disait que c’est rien de conduire des petites voitures quand on sait manœuvrer les gros engins agricoles. Il ne savait ni lire ni écrire et même en prison il trouvait toujours quelqu’un pour lui prêter la main et il donnait des nouvelles.
Un jour il a débarqué chez moi, a sonné avec insistance, pressé. J’habitais alors au rez-de-chaussée d’une maison. Il avait refermé la porte du jardinet avec la clef qui était sur la porte en me prévenant qu’ils n’avaient pas le droit d’entrer, et j’ai vu arriver une voiture de police qui le coursait… Il était tombé et sa tête avait cogné fort le bord du trottoir. Il avait perdu connaissance et des passants ont alerté. Il s’est réveillé quand la police est arrivée est remonté sur son vélo. Ils voulaient juste l’emmener à l’hôpital m’ont-ils expliqué, pour le faire examiner. Lui ne voulait pas y aller. Nous avons parlé. J’ai dit que je garde son vélo mais qu’il fallait faire les examens, que c’était important. Il est parti avec eux en les insultant copieusement alors qu’eux lui parlaient gentiment. Presqu’incroyable aujourd’hui et pourtant vrai, je l’atteste. (...)
Marc ne savait pas lire et pas écrire mais il savait compter. Il amis un peu de temps à comprendre que ses amis paysans profitaient de lui. Il a quitté l’un d’eux le jour où il l’a vu donner 100 euros à des gens qui étaient venus travailler pour lui alors que lui n’en a touché que 10. Ça avait pris un peu de temps pour lui faire comprendre qu’il avait des droits et surtout les mêmes que tout le monde.
On le prenait pour un idiot -de village- depuis toujours, et lui savait qu’il ne l’était pas. Il était reçu partout puisqu’il était serviable. Et il écoutait ce qui se disait. Il savait beaucoup sur les choses et sur les gens. Il m’en a répétées, beaucoup. Ces paysans qui achetaient des plantes OGM alors que c’était interdit et lui faisaient brûler les sacs.
Il ne savait pas lire, mais il savait ce qu’il faisait. Il ne supportait pas l’injustice, et il savait que moi non plus. Lui a été traité injustement, souvent. Et moi je l’ai défendu, auprès de mes collègues parfois, auprès de l’administration pénitentiaire aussi, la Caf, au Tribunal de police lorsqu’il a été sommé de payer une amende parce qu’il a arraché les fleurs chez une dame.
Les fleurs c’est lui qui les avait plantées parce qu’il savait faire ça aussi, et il les a arrachés parce qu’elle refusait de payer la facture. Et la dame a porté plainte. (...)
Après être parti de chez moi il a enfin trouvé un appartement dans lequel apparemment il est resté jusqu’à la fin. Dans une autre ville, loin de ses habitudes. Un jour avec les autres habitants de sa résidence, ils se sont aperçu que le bailleur leur réclamait trop d’argent. Il a organisé une pétition qu’il est venu me montrer avant de l’envoyer, pour être sûr que c’était bien tourné…
Oui tu avais le droit d’être comme tout le monde. Et tu étais bien plus que tout le monde. Tu étais un être exceptionnel et je suis heureuse de t’avoir connu.
Grâce à toi et à d’autres aussi, j’ai appris le fonctionnement de la machine sociale, celle qui contrôle autant -plus- qu’elle aide… Il faut être fort comme toi pour s’en servir sans qu’elle vous broie.
Quand je suis partie à la retraite je ne savais pas comment te le dire. Tu l’as appris par d’autres, forcément. Alors la dernière fois que je t’ai vu dans mon bureau, tu m’as dit un peu fâché que j’aurais pu te le dire, que tu ne vas pas pleurer parce que je m’en vais.
Aujourd’hui c’est moi qui pleure. Parce que maintenant et depuis si longtemps, c’est toi qui n’es plus là et que moi je ne le savais même pas…