
Il ne s’agit pas d’apprendre un métier, mais plutôt des manières de s’organiser et de vivre. Témoignages d’heureux adeptes du « compagnonnage », qui voguent de lieux collectifs en entreprises coopératives.
(...) Quelques années en arrière, la trentenaire s’épuisait dans un poste de travailleuse sociale : « La hiérarchie, le rapport aux institutions, la pression au travail, tout cela ne me convenait plus, raconte-t-elle. Je me sentais perdue, mais j’avais l’intuition que d’autres organisations du travail, plus collectives, plus épanouissantes, étaient possibles. » Un ami lui parla alors du Repas – le Réseau d’échanges de pratiques alternatives et solidaires – et de son compagnonnage alternatif. Un an plus tard, elle rejoignait cette aventure qui allait la « chambouler ».
Vieux de plus de huit siècles, le compagnonnage désigne un système de transmission de connaissances et de formation, longtemps pratiqué par des artisans et ouvriers. Au cours d’un tour de France de plusieurs années, les jeunes se rendaient d’atelier en atelier afin d’apprendre leur métier. Au sein de Repas, les compagnonnes et compagnons ne vont pas de ville en ville mais de lieux collectifs en entreprises coopératives ; surtout, il n’est pas question d’apprendre un métier, mais plutôt… des manières de s’organiser et de vivre. Avec une conviction : c’est tous ensemble que nous changerons le monde. (...)
Dans son livre Quotidien politique (éd. La Découverte, 2021), la sociologue Geneviève Pruvost prône ainsi l’« entre-subsistance » plutôt que l’autosuffisance, car explique-t-elle dans Le Monde, « l’engagement individuel est toujours associé à une dynamique collective, ancrée dans un même territoire ». (...)
« Sois le changement que tu veux voir dans le monde », certes, mais pas chacun dans son coin ! C’est un des constats fondateurs du réseau Repas, en 1994. Des sociétés coopératives, associations et lieux de vie collectifs se sont retrouvés pour échanger sur leurs pratiques. « Tous avaient l’impression d’être les seuls à essayer de penser le travail de manière non hiérarchique, et ils ont eu envie de se regrouper pour échanger et avancer ensemble », détaille Yann. (...)
Peut-on se passer de chef ? Quel rapport à l’argent ? Comment avoir des pratiques non sexistes, écolos, anticapitalistes ? Autant de questions que ces collectifs se sont posées – et continuent de se poser – ensemble. (...)
Cette vague de « néoruraux », de « déserteurs », de « rupturistes » – autant de termes qui désignent celles et ceux qui quittent leur entreprise, leur quotidien citadin ou leur carrière – a été largement documentée ces dernières années. Selon la sociologue Geneviève Pruvost, « ces nouvelles générations ont la conviction qu’un changement de société est nécessaire et qu’il peut passer par l’action locale, notamment par l’écologisation des pratiques quotidiennes : manger, boire, dormir, se vêtir, se soigner, éduquer les enfants… » La journaliste Marine Miller a pour sa part enquêté sur « les jeunes élites face au défi écologique ». Son ouvrage, La révolte (Seuil, 2021), retrace la révolution de dizaines de diplômés des hautes écoles (...)
« Ces nouvelles générations ont la conviction qu’un changement de société est nécessaire » (...)
« Ces nouvelles générations ont la conviction qu’un changement de société est nécessaire » (...)
Face à cet essor, les réseaux alternatifs et autonomes se sont emparés du sujet, et tentent d’accompagner, à leur manière autogérée et non lucrative, la désertion des jeunes diplômés. École de la terre dans le Limousin, École des tritons sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, École des renardes, portée par le réseau des alternatives forestières, Internationale boulangère mobile… « Plein d’écoles informelles se créent, ancrées dans les Zad et les collectifs militants, en s’inspirant entre autres de ce qu’a créé le Repas », se réjouit Yann.
Le compagnonnage a donc encore de beaux jours devant lui. (...)