
Les mots "bruts" de la jeune femme, alliés à son analyse fine des situations donnent à lire la réalité de la détention et de l’atteinte à la dignité des personne qu’induit ses conditions. Dans cette première partie, Inayah* revient sur les premiers "chocs" liés au statut de "prisonnière" et décrit avec précision le quotidien des détenues. Rédigé à sa sortie, avec Laélia Véron, du GENEPI, à partir des notes de ses carnets, ce témoignage est précieux.
(...) Pourquoi ce texte ?
J’ai choisi de témoigner après avoir vu à la télévision, un reportage sur une maison d’arrêt, dans lequel je ne me reconnaissais pas du tout. La prison y était présentée comme un espace calme et tranquille, une sorte d’hôtel « 4 étoiles » où les détenus étaient confortablement installés et pouvaient faire ce qu’ils voulaient… D’autre part, lorsque les médias parlent de la prison, ce sont le plus souvent des hommes qui s’expriment. J’ai l’impression que l’on n’entend jamais la voix des femmes détenues. Or, l’enfermement carcéral des femmes comporte des spécificités. Mon objectif est de les faire connaitre et de donner une vision réaliste de la vie d’une détenue dans une maison d’arrêt pour femmes.
La prise de conscience du statut de « prisonnier »
Le moment où j’ai réalisé que j’ai désormais un statut « à part » c’est au moment d’un transfert. J’étais assis dans un véhicule, menottée mais sans ceinture de sécurité. La conduite heurtée me ballotait sans que je puisse me retenir à quoi que ce soit (les freinages sec de la police sont bien connus !), si un accident s’était produit, je n’aurais pas du tout pu me protéger. C’est à ce « détail » que j’ai compris que, désormais, j’étais passée dans une catégorie de personnes qui n’ont pas les mêmes droits que les autres… dont la vie vaut moins que celle des autres. .. J’étais « une prisonnière. »
Les conditions de vie en prison
On dépeint souvent la journée du prisonnier comme une journée où on se prélasse, avec petit déjeuner servi au lit, promenade, télévision, etc. Ce n’est pas la réalité !
Le bruit incessant, l’absence de répit.
En prison, tous les matins, une alarme très violente retentit vers 6h55 (ce genre de réveil n’est pas montré dans les émissions télévisées montrant des détenus traînant au lit !). Ensuit il y a l’ouverture des verrous : un en haut et un en bas de chaque porte. Le bruit métallique que cela représente est très agressif, on dirait même que les surveillantes s’acharnent dessus pour rendre l’opération encore plus assourdissante. Et tous les soirs, c’est le même scénario quand les verrous sont refermés. A chaque fois, on sursaute et c’est tellement violent que, le matin, j’ai rapidement pris l’habitude de me réveiller avant pour être prête psychologiquement. Dans les centres de semi-liberté, il n’y a pas de verrous et pas d’alarmes, cela fait une énorme différence : c’est extrêmement reposant.
De plus, tous les jours entre 14h et 16h, les surveillants viennent sonder tous les barreaux de toutes les cellules pour vérifier s’ils n’ont pas été sciés. Et le samedi matin ils le font à 9h, ce qui crée une impression de persécution car on a l’impression qu’ils ne veulent pas qu’il y ait de repos, même le week-end.
La nourriture (...)
L’argent
On manque de tout en prison. Pour l’hygiène par exemple, il y a un kit de toilette gratuit qui est distribué, mais il est insuffisant. Le papier toilette est payant ! On doit acheter tout ce dont on a besoin via le catalogue de la prison, qui s’appelle la cantine où le choix est limité et surtout les prix sont très élevés : tout y est plus cher qu’à l’extérieur. On y trouve de la nourriture, mais aussi des produits d’entretien etc. Si on veut manger correctement, il faut cantiner. J’ai vraiment vu des filles qui n’avaient pas les ressources suffisantes pour le faire, avoir faim.
Il y a, de manière générale, une multitude d’abus autour de l’argent, autour de ce qu’on nous fait payer en prison (...)
La santé, les médicaments.
L’encadrement médical est un vrai problème. On distribue des traitements très lourds de manière quasi-systématique, à ce rythme, on peut devenir un légume rapidement. Si tu as mal à la tête, que tu n’arrives pas à manger ou que tu ne vas pas bien, personne ne prend le temps de te parler, d’écouter, mais on te donne un médicament. C’est un moyen d’acheter la paix. Il y a l’exemple d’une fille qui a énormément de traitements, un total d’au moins seize comprimés, alors qu’on dit déjà qu’au bout de 4 médicaments, il y a un problème d’interaction…
Quand je suis arrivée en prison, la première chose qu’on m’a proposé, c’est de prendre un cachet. J’en ai pris un, ça m’a complètement sonnée, j’ai vu des étoiles, c’était très fort, très violent. J’ai tout de suite décidé de ne plus en prendre. Cette sur-médication entraîne beaucoup de problèmes. (...)
Par contre, je dois dire que j’ai pu bénéficier du soutien d’un psychologue, qui a été très bénéfique. Le suivi psychologique fondé sur la thérapie par la parole et non le médicament est généralement très apprécié des détenues. Et de fait, dans une prison pour femmes, on peut voir le psy plus souvent que dans une prison pour hommes (parce qu’il y a moins de détenues)
Le cannabis toléré pour apaiser les tensions
Chez les hommes, il y a les médicaments, mais aussi le shit (cannabis) qui agit comme un médicament, davantage que chez les femmes. Beaucoup d’homme détenus consomment du shit, et certains surveillants le tolèrent très bien (voir dealent eux-mêmes) parce que c’est une manière d’acheter la tranquillité. (...)
L’hygiène
Les douches sont un endroit terrible. Ce sont un lieu de crasse et de misère. Déjà, avoir la douche tous les jours c’est un privilège. Les gens sont mis dans des cases : les travailleuses (qui ont une douche tous les jours) et les autres avec un jugement type pour qui l’administration part du principe : « Tu fous rien, t’as pas besoin de te laver ». Il y a un système de privilège au mérite. Celles qui ne travaillent pas ont une douche seulement trois fois par semaine. Du coup on développe des techniques comme aller au sport pour pouvoir prendre une douche.
Les douches sont collectives. Il y a huit cabines sans aucune fermeture des portes. C’est sale, quasiment jamais nettoyé. C’est désagréable de se doucher avec d’autres gens. C’est un nid à microbes et le contraste des habitudes d’hygiènes peuvent être très violents : des filles qui défèquent dans la douche, des filles qui enlèvent leur serviette hygiénique devant tout le monde, des filles qui lavent leurs vêtements dans la douche….
Il y a aussi un problème de température : c’est toujours trop chaud ou pas assez. (...)
L’hygiène en cellule est également problématique. Officiellement on peut changer de couverture tous les six mois, mais si on ne le demande pas, ça ne se fait pas. Le problème est déjà de savoir ce à quoi on a droit, et aussi de parler suffisamment bien le français pour pouvoir le demander.