
La cyber-guerre aura-t-elle lieu ? Avec d’un côté, les puissants pouvoirs étatiques et commerciaux qui visent à contrôler, surveiller ou rentabiliser Internet. Et de l’autre, des « guérilleros » du Net : défenseurs des libertés et de la vie privée, promoteurs des logiciels libres, informaticiens du « bien commun » ou communautés de hackers.
. Entrer dans une cyber-guerre, c’est entrer dans une logique de territoires, d’occupations et de frontières, prévient le hacker Okhin. Bref, tout le contraire d’Internet en tant qu’espace infini d’information et de culture. « Il faut arrêter de défendre nos droits sur Internet, il faut défendre nos droits tout court », lance-t-il, craignant que les activistes du Net ne se déconnectent du reste de la société.
Internet n’est pas un territoire. Un territoire est un espace géographique et implique l’existence de frontière ou de limite. Or Internet est une machine hybride composée d’humains et de machines, connectées sans limites de par le monde – ou presque – et créant à l’infini de l’information.
Internet est infini. En tant qu’espace d’information et donc de culture, il n’a pas de limite. L’ensemble des mèmes (unité d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société, c’est l’équivalent pour la culture aux gènes en biologie [1]) peuvent cohabiter sur Internet, sans jamais épuiser les ressources d’Internet.
C’est en fait beaucoup plus proche de la notion d’espace mathématique que de territoire géographique. C’est un ensemble composé de cultures, d’idées, de mèmes, d’informations – au sens de la théorie de l’information, et qui repose sur la libre circulation de celle-ci.(...)
Internet fonctionne parfaitement. Il fonctionne même tellement bien qu’il y a plusieurs milliards de personnes connectées. Partout dans le monde – ou presque – des personnes de tout milieu social, de toute culture, de tout niveau d’éducation, s’en servent pour communiquer.
Je dis cela en ayant conscience de parler à un évènement [Passage en Seine, Paris, 2014] où, sur 61 conférenciers, il n’y a que 5 femmes. Et en sachant parfaitement que des continents entiers ne sont pas présents sur Internet, ou que l’accès aux machines permettant l’accès à Internet reste encore trop souvent un privilège des classes sociales supérieures.
Ce qui est cassé, c’est nous
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Ce qui est cassé, ce n’est pas Internet. Ce qui est cassé, c’est nous. Les barbus autoproclamés gourous des internets, cyber-activistes, hackers, administrateurs systèmes et autres. Ce qui est cassé, ce sont nos égos, nos réactions de sociopathes nihilistes face à un problème politique et social. Ce qui est cassé, c’est notre absence de réaction politique, imbus de nous-mêmes, et confortés dans notre idée que nous sauverons le monde grâce aux machines.
Nous n’avons pas besoin d’outils de sécurisation des échanges, comme CaliOPen ou mailpile, OTR ou GPG (outils de communication chiffrés pour des mails, du tchat, des fichiers, ndlr), ou d’open SSL (outils de chiffrement, ndlr). Nous n’avons pas besoins d’appel à prendre les armes ou de nous écrire des lettres. Nous n’avons pas besoin de dire aux gens que s’ils ne sont pas capables de faire de la cryptographie ou de gérer correctement des clés de chiffrement, alors nous ne pouvons pas les aider. Nous n’avons pas besoin de l’attitude arrogante qui consiste à penser que tout le monde est capable de comprendre la documentation que nous ne sommes pas nous-mêmes capables d’écrire.
Certains d’entre nous veulent changer le monde. Et c’est une bonne chose. Certains veulent un monde dans lequel les communications sont par défaut ultra-sécurisées, établies entre pairs de confiance, et avec la possibilité d’exclure les nœuds dangereux pour le réseau de manière permanente et selon un consensus autoritaire.
Ils partent du principe que la surveillance de masse, effectuée par les États-nations ou les entreprises, est une violente atteinte à la démocratie et à la vie privée. Et que, de la même manière que le pair-à-pair permet l’échange d’informations de manière décentralisée, fluide et sans autorité centrale, la protection de la vie privée et de l’intimité ne peut se résoudre que techniquement.
Sécuriser, c’est aussi exclure
Pourquoi pas, mais réfléchissons-y deux minutes (...)
Le problème, c’est de combattre les mèmes de la sécurité, de la peur, de l’espionnage. Et ce n’est pas avec plus de sécurité que nous y arriverons. Il suffit de voir les différents ratages de la surveillance : si on n’attrape pas une personne en dépit des caméras de surveillance, ce serait parce qu’il n’y en a pas suffisamment, donc il faut en ajouter... On ne se demande pas si le système est inefficace.
Ce n’est pas un problème qu’un outil logiciel résoudra, aussi bien conçu soit-il. (...)
Nous n’avons pas pour but d’être le centre de support technique des activistes. Et ils n’en ont pas besoin. En revanche nous savons tous qu’Internet est fondamental pour la liberté d’expression, de communication et d’organisation. Nous savons tous que cet outil social peut transcender les frontières, les différences de classe, de langue, d’origine, de religion pour construire de belle choses.
Et c’est notre devoir à nous, « utilisacteurs » d’internet, hackers ou pas, hipsters, geeks, nerds ou pas, de défendre cet outil. C’est notre devoir en tant qu’êtres humains de défendre nos droits. Cela ne peut se faire qu’en défendant les droits de tout le monde. Avec tout le monde. (...)
Le Télécommunisme consiste simplement à considérer le réseau physique comme un bien commun. Non pas le contenu, pas Internet, mais le net. Les réseaux, les fils, les signaux, les données. Pas les gens qui s’en servent, mais le réseau.
C’est penser qu’il n’y a pas nécessairement besoin d’un consensus pour le faire fonctionner, du moment qu’il fonctionne. (...)
Il faut poser la question de l’application de nos modes de gestion technique à nos modes de gestions sociaux. Nous avons inventé des outils qui permettent des échanges non commerciaux, qui permettent de vivre de sa passion, qui permettent une transmission d’information gigantesque. Et nous voulons sacrifier tout cela pour aller faire la guerre ?
Je suis peut-être un bisounours mais...
Utiliser les mèmes de la guerre ne nous rend pas service. Une guerre, c’est une territorialisation. C’est l’instauration de frontières, de limitation des ressources, et a minima l’occupation de celles-ci par une puissance quelconque.
Parler de guerre, c’est admettre une territorialisation d’internet. Ce qui permet de le découper, de le balkaniser. (...)
Arrêtons l’appel aux armes
Il est donc temps d’arrêter l’appel aux armes. D’essayer de réparer ce qui n’est pas cassé, ou de vouloir réparer ce qui est cassé au-delà du réparable. Refusons la sémantique guerrière. Nous ne sommes pas des cyber-guerriers. Nous ne vivons pas dans un cyber-territoire. Nous n’avons pas de cyber-armes, ou de cyber-gouvernement. La guerre est un jeu qu’on ne peut gagner qu’en refusant de participer. (...)