
Quand les enfants accompagnés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) atteignent leur majorité, ils perdent brutalement leur prise en charge. Dans le Val-d’Oise, une association composée d’anciens de l’ASE accompagne ces jeunes pour leur éviter la rue.
Le jour de ses 18 ans, Maky est mise à la porte : « J’étais en panique totale. C’était deux mois avant mes examens », explique la jeune femme de 23 ans, aux grandes boucles d’oreilles dorées. Depuis presque trois ans, Maky était accompagnée par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Elle était suivie par un éducateur et avait un logement au sein d’un foyer de jeunes travailleurs. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Elle poursuit en colère :
« C’est comme s’ils me laissaient au bord de la route. »
L’impression de se retrouver seule, encore une fois. À 15 ans et demi, Maky a dû quitter son pays, la Guinée. « Mes deux parents sont décédés. J’ai grandi avec la deuxième femme de mon père, mais c’était une relation compliquée. À 14 ans, ils voulaient me donner en mariage à mon frère, mais comme j’ai refusé il y a pas mal de choses qui sont retombées sur moi. Je ne pouvais pas aller à l’école… » Maky entend alors parler d’un « monsieur » qui pourrait l’aider à quitter son pays, contre de l’argent. « J’ai travaillé, et quand je lui ai donné l’argent, il m’a donné rendez-vous à l’aéroport, m’a donné un passeport, et arrivés en France on s’est séparés. » Elle passe un mois dehors, seule avant d’être repérée par une association. Elle est reconnue mineure isolée et prise en charge par la protection de l’enfance, comme plus de 300.000 mineurs en France. Chaque année, plusieurs milliers d’entre eux, comme Maky, atteignent leur majorité et perdent leur prise en charge. Certains se retrouvent alors brutalement sans revenu ni logement. (...)
Maky, elle, a eu peur de retourner à la rue :
« J’étais perdue, je ne savais pas où donner de la tête. J’avais les examens, mon travail en alternance, et je devais en plus chercher un logement et un travail. »
Sa demande de « contrat jeune majeur » – qui permet aux jeunes de l’ASE de prolonger les aides jusqu’à leurs 21 ans – lui est refusée. Elle trouve finalement refuge chez une amie. Après cinq ans de « galères », elle trouve « enfin du soutien » auprès de l’association Repairs 95. Depuis un an, c’est elle qui l’accompagne pour toutes ses démarches. Quand elle est sortie, Maky n’avait ni carte d’identité, ni sécurité sociale (...)
À Repairs, Maky est entourée de bénévoles qui sont eux aussi d’anciens enfants placés. Aurore, qui accompagne les jeunes comme Maky, a connu l’ASE de ses deux ans à ses 21 ans. « Du jour au lendemain, je me suis retrouvée sans sécurité sociale car je n’avais pas mis à jour mes droits, je ne savais pas. Quand je suis sortie, j’aurais bien aimé trouver quelqu’un qui comprenne vraiment » explique la jeune femme de 35 ans. « On leur demande d’être autonomes à 18 ans, mais qui l’est ? Déjà, pour n’importe qui c’est compliqué mais là, en plus, on n’est pas sur des parcours anodins… », complète Martial, un autre bénévole, avant de montrer de la main un espace qu’il aimerait aménager en coin cuisine pour apprendre aux jeunes à faire à manger. (...)
Ce mercredi 29 septembre l’association organise dans ses locaux : « Les pieds dans le plat », un repas entre bénévoles et jeunes majeurs pour partager ses difficultés et conseils. Une fois installés, les jeunes échangent timidement sur leur situation et leurs galères. Un premier explique qu’il vit à l’hôtel, dans une chambre qui ressemble « à une cellule de prison » (...)
Tout au long de la soirée ils tentent de joindre le 115, dans l’espoir de trouver un hébergement d’urgence. Tous les autres jeunes et bénévoles présents ce soir-là tentent à leur tour de joindre le service, sans succès. En France, une personne sans abri sur quatre est issue de l’ASE. « Comment veux-tu que les jeunes s’en sortent si on te donne un numéro d’urgence qui ne répond pas ? » souffle Mathéo, le téléphone à la main et les bips en fond sonore. L’association finit par leur prendre une chambre d’hôtel pour passer la nuit. (...)
Depuis le premier confinement en mars 2020, les conseils départementaux – en charge de la protection des enfants placés – ont reçu instruction de ne pas mettre fin à l’accompagnement des jeunes devenus majeurs. Une mesure qui devait s’arrêter ce jeudi 30 septembre. Le secrétaire d’État à l’Enfance, Adrien Taquet a finalement demandé aux départements de poursuivre la prise en charge des enfants qui se trouvaient sans solution, en attendant l’adoption du projet de loi de Protection de l’enfance.