
Le comté d’Essex, 800 000 habitants, n’est qu’à trente minutes en voiture du cœur de New York, mais c’est déjà un tout autre monde. La région, qui croque habituellement dans la Grosse Pomme pour nourrir son économie locale, n’a plus grand-chose à se mettre sous la dent. Le coronavirus a fait fermer des entreprises qui n’ont toujours pas rouvert sept mois après, ou alors partiellement. Le chômage a explosé, la faim avec.
Aujourd’hui, dans cette zone grande comme le Val-de-Marne, plus d’un habitant sur dix est considéré en insécurité alimentaire. Franceinfo a passé deux jours dans la ville de Montclair, 39 000 âmes, où trouver quelque chose à manger est devenu, pour beaucoup, la première préoccupation.
Le comté d’Essex, 800 000 habitants, n’est qu’à trente minutes en voiture du cœur de New York, mais c’est déjà un tout autre monde. La région, qui croque habituellement dans la Grosse Pomme pour nourrir son économie locale, n’a plus grand-chose à se mettre sous la dent. Le coronavirus a fait fermer des entreprises qui n’ont toujours pas rouvert sept mois après, ou alors partiellement. Le chômage a explosé, la faim avec.
Aujourd’hui, dans cette zone grande comme le Val-de-Marne, plus d’un habitant sur dix est considéré en insécurité alimentaire. Franceinfo a passé deux jours dans la ville de Montclair, 39 000 âmes, où trouver quelque chose à manger est devenu, pour beaucoup, la première préoccupation. (...)
Les gyrophares des voitures de police colorent le ciel de Montclair, qui ouvre tout doucement les yeux. Il est 6h30, et le sergent Richard Garcia, crâne rasé, treillis noir et revolver au ceinturon, positionne sa vingtaine d’hommes. Dans deux heures, ils encadreront la distribution des 1 000 colis alimentaires qu’organise le Comté de l’Essex. Les palettes sont encore sous plastique, tandis que les premiers bénéficiaires font déjà la queue sur Washington Street.
Tout devant, Cynthia, la quarantaine, agrippée à son caddie, lance les paris sur ce qu’il y aura "cette fois" dans la boîte en carton. Emmitouflée dans un paletot noir, le petit bout de femme casse vite l’ambiance : "De loin, on pourrait croire qu’on attend une place pour un concert. En fait, non, on attend pour qu’on nous donne à manger. Bienvenue aux Etats-Unis, jeune homme."
Voilà le tableau : Cynthia n’a quasiment plus de travail depuis le début de la crise du Covid-19, mais toujours cinq bouches à nourrir. Des marmots de cinq, six, huit, neuf et dix ans, "c’est fou comme ça mange à cet âge-là…" "Avant toute cette merde", elle faisait des ménages, "80 heures par semaine en moyenne. Plus qu’une quinzaine d’heures à tout casser maintenant", et "pas un dollar de compensation".
Je n’ai plus assez d’argent pour remplir le frigo. Je ne peux plus m’en sortir seule. Si je ne viens pas là une fois par semaine, je ne mange pas.
Cynthia
"La galère, c’est de famille chez nous", rit jaune la mère célibataire, en tirant sur les manches de son manteau. Dans la file d’attente qui s’étire derrière elle, il y a sa belle-sœur, qui doit désormais faire sans le salaire de monsieur qui n’a toujours pas repris le travail dans l’hôtel qui l’emploie. "Avec une seule paie, c’était déjà très dur. Mais là, sans rien… Imagine le truc. Le 10 du mois, on n’a déjà plus grand-chose."
Son colis arrive, coup de clé énergique pour l’ouvrir. Un paquet de riz, des briquettes de jus de fruit, une boîte de céréales, des conserves de haricots verts, des pots de beurre de cacahuète… "Si je fais gaffe, ça devrait pouvoir nous faire une semaine", calcule-t-elle. (...)
Avec plus d’1,4 million de personnes sur le carreau, le "Garden State" atteint presque 17% de chômage, le double de la moyenne nationale. Le gouverneur de l’Etat, Phil Murphy, répète partout que la situation est comparable à la Grande Dépression des années 1930. Au volant de sa Ford Explorer 909, le sergent Garcia repasse une tête :
– Mes gars viennent de me dire que vous venez de France pour parler de ce qui se passe ici. C’est vrai ?
– Oui, exactement.
– C’est cool, merci, ces gens le méritent, c’est dur ce qu’ils vivent. (...)
Le mois dernier, Melonica a reçu 208 dollars d’aides, mais aussi un avis d’expulsion. "En fait, je découvre la faim, la vraie." A cinq dollars le kilo de tomates, les virées au supermarché n’ont plus le même goût. "Tout est trop cher maintenant." Alors elle ne boit plus que de l’eau, prépare des "portions beaucoup plus petites", prend "moins souvent" le petit-déjeuner, et surtout, elle se couche "vers 19 heures, pour sauter le dîner". (...)
Par-dessus la vitre de sa Jeep, un certain Alfonso raconte qu’il a craqué l’autre jour. "Mon fils de dix ans m’a dit qu’il voyait bien que le frigo était souvent vide en ce moment, et m’a tendu son assiette pour que je la finisse." "Voilà ma peur, qu’on m’envoie au tribunal parce que je n’ai pas assez nourri mon enfant." (...)
Avant le Covid-19, la plus grosse banque alimentaire du New Jersey estimait à 770 000 le nombre de personnes en précarité alimentaire dans cet Etat. Ce chiffre pourrait atteindre 1,2 million en 2020, selon un rapport de la Community Food Bank of New Jersey diffuse à tout-va, tant la situation est grave.
Sandy Williams, première distribution, n’a pourtant "pas envie qu’on la plaigne". "Ça pourrait être pire, veut-elle relativiser. Nous avons un toit au-dessus de notre tête, notre maison n’a pas brûlé comme en Californie et n’a pas été inondée comme dans le Sud." Elle travaillait pour une compagnie d’assurance : chômage. Son mari était directeur technique d’une entreprise : chômage. En attendant, et c’est un peu un comble quand on est contraint de demander à manger, il a accepté un boulot de préparateur de commandes la nuit dans un supermarché. (...)
Six mois que le virus contamine l’ordre du jour des conseils municipaux. Les élus ont récemment voté des "subventions aux petites entreprises" et des "subventions supplémentaires pour les organismes d’aide à but non-lucratif", détaille monsieur le maire, Sean Spiller.
Début avril, avant que le coronavirus ne fasse des centaines de victimes dans la région, le chef de l’exécutif du comté d’Essex a lui aussi réuni ses équipes autour de la table. "Je voyais les entreprises fermer les unes après les autres, les gens perdre leur emploi. Il fallait réagir !" se souvient Joseph Di Vincenzo. A l’époque, il ne se pose pas de question, monte un groupe de travail et toque à la porte des grossistes alimentaires du coin. La première distribution a lieu fin avril. Le reste se fait "à l’américaine" : des dons collectés par-ci, par-là. Sodexo USA vient par exemple de signer un chèque de 60 000 dollars.
Depuis, ça n’arrête plus, 36 000 colis ont déjà été écoulés. Pour Joseph Di Vincenzo, qui en a vu d’autres en dix-sept ans de mandat, ce qui se passe est "plus grave" encore que l’ouragan Sandy, qui avait balayé une partie de la région en 2012. (...)
Le comté a fait une promesse : les gens dans le besoin pourront compter sur ses colis jusqu’à fin décembre. (...)
Après ? "On verra… On verra en fonction de la situation. Si ça va mieux, on arrêtera."
Dans les couloirs des associations locales, il n’y a pas de "on verra" qui tienne : toutes savent qu’il faudra se retrousser les manches pendant encore plusieurs mois. C’est bien ça le problème. (...)
« Tout repose encore sur la mobilisation des gens, ce n’est pas possible, ça ne peut pas être que ça. »
Une bénévole (...)
"l’Américain" – c’est son surnom – sans domicile depuis un an et demi, "parmi les derniers arrivés de la bande" de Trinity Place : "A ce rythme, il va falloir agrandir cet endroit, raconte-t-il, le plus sérieusement du monde. Il n’y aura bientôt plus de place pour tous les SDF du coin, s’il faut accueillir tous les prochains pauvres."
Un autre propose une action : "On n’a qu’à se mettre en grève de la faim pour qu’on nous entende." Rire, malaise, un peu des deux" (...)
La plupart des sans-abris n’ont rien suivi à la campagne électorale. Le bénévole les comprend : "C’est cynique, on ne parle de rien dans cette campagne, et surtout pas d’eux. (...)
Assis sur le capot, un officier de police ne le dit pas trop fort, mais la crise est en train de changer son quotidien : "Il va falloir faire plus attention lors de nos patrouilles aux gens qui dorment dans leur voiture." Le sans-abri barbu regarde le chauffeur de la camionnette remplie de packs alimentaires faire son demi-tour sur le parking. "Si ça se trouve, dans quelque temps, c’est ce genre de gars qui se feront braquer. Et comme ceux qui transportent de l’argent, il faudra les escorter."