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Violence du travail
Je vois que l’esclavage ça existe encore
Article mis en ligne le 24 août 2020

« Moi j’ai travaillé, j’ai travaillé dur, j’ai fait le même travail que mon patron alors que je suis apprenti. Il m’envoyait seul faire les boulots que normalement un apprenti il fait pas. J’ai fait les mêmes choses, les heures supplémentaires… mais je n’ai pas été payé. »

J’accompagne des jeunes hommes exilés, de façon informelle et bénévole. Je suis responsable légale de certains d’entre eux, des mineurs. J’en croise d’autres. Aujourd’hui je veux écrire pour ceux que je connais et ceux que je ne fais que croiser. Je veux rapporter leur parole.

Début juillet. Les résultats des CAP viennent d’être publiés. La semaine précédente, j’ai appelé les uns et les autres pour leur annoncer, les féliciter, et certains pour les consoler, et envisager la suite.

Ce soir je suis à Gap. Je traine devant le Cesaï, il est tard. Le Cesaï c’est un squat pour les Africains qui arrivent ici depuis l’Italie voisine. Malgré mes tentatives de joie et d’encouragements, l’heure n’est pas aux félicitations. Les jeunes hommes ont des soucis. Et déroulent leur colère, leur fatigue, leur déception, leur désespoir, leur orgueil outragé…Passent de temps en temps des gars inconnus, la mine triste, défoncés, qui ondulent comme des feuilles mortes jusqu’à la porte d’entrée. Je recueille auprès des autres, des chanceux, c’est à dire par exemple ceux qui ont été pris en charge par le département en vertu de leur statut de mineur, ceux qui ont signé un contrat d’apprentissage, la litanie de coups tordus, illégaux, de la préfecture, des patrons, des éducatrices… le racisme ordinaire aussi. « Et aujourd’hui on est là ! », en montrant le pavé sous leurs pieds. Un gars n’a été payé que 250 euros par mois quand il était apprenti ! Un gars a dû payer 500 euros un titre de séjour valable 3 mois ! Un gars s’est fait voler son argent par son éducatrice ! Un gars s’est fait pourrir et lâcher par son patron quand il a annoncé qu’il avait obtenu son diplôme ! Je mets des points d’exclamation par respect, même si la lassitude et l’impuissance l’emportent.

– Je vois que l’esclavage, ça existe encore ! lance l’un d’eux. (...)

Mon éducatrice elle ne voulait pas signer le papier pour que j’ouvre un compte bancaire, alors mon patron il me payait en espèces. Sur ma fiche de paie il y avait marqué 800 euros, et je ne recevais rien du tout.-Mais c’est tout le monde comme ça ici, ils s’en battent les couilles de toi !

– Moi aussi ma patronne elle marquait mon salaire sur la fiche de paie et en fait je reçois des virements ça ne correspond pas, je reçois 250 euros, parfois… Mais moi j’ai les traces, j’en ai parlé à ma famille d’accueil, je vais aller aux prudhommes.

– Moi ma famille d’accueil ils ne viennent jamais me voir. Si j’ai un problème je compte sur moi. Personne ne m’a apellé pour savoir si j’avais mon CAP, alors qu’avant de pouvoir aller à l’école au CFA, j’ai passé un an chez eux comme leur fils.

– Moi je suis seul là… Je travaillais avec un patron, en maçonnerie, je travaillais même pendant le confinement. Mais là j’ai eu 18 ans, on m’a mis dehors, je ne trouve pas d’appartement parce que mon patron il ne veut pas remplir les papiers. Il m’avait dit qu’il me garde après mon diplôme mais là il ne veut pas remplir les papiers pour les agences. Alors je suis là… (...)

– Et le soir tu es fatigué du travail, tu ne sors même pas, tu n’as même pas d’argent pour aller dans un bar. Le samedi, si tu vas à la boite de nuit on te refuse… C’est quelle vie, ça ?

Et moi je m’organise avec ces gars forts, qui ont encore à dire, à écouter, à se consoler, à imaginer, des fuites ou des combats…

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