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Observatoire des inégalités
Jeunesse : en finir avec l’hypocrisie
Par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Article mis en ligne le 18 octobre 2016
dernière modification le 11 octobre 2016

L’hypocrisie de notre pays face aux jeunes est une insulte aux valeurs républicaines. Elle explique la montée de leur exaspération et augure mal de l’avenir.

« La jeunesse n’est qu’un mot », écrivait le sociologue Pierre Bourdieu en 1978 [1]. La grande majorité des commentateurs considère que parler « des jeunes » va de soi, alors qu’il n’en est rien. Les jeunes ne forment pas un groupe unifié avec des pratiques et des valeurs communes. L’élévation des niveaux de vie et du niveau d’éducation a brouillé les pistes. « Si le cadre est commun à tous, les jeunes sont loin d’être tous logés à la même enseigne », écrivent les sociologues [2]. Entre l’intérimaire du bâtiment et l’élève d’une grande école parisienne dont les parents financent les études, les modes de vie n’ont rien à voir. Les pratiques culturelles sont trompeuses pour le monde des adultes qui y voient l’uniformité alors que, des vêtements aux goûts musicaux, en passant par le langage ou les loisirs, les milieux sociaux se distinguent clairement. Tout en refusant le misérabilisme ambiant, il faut se rendre compte de ce qu’est la vie quotidienne de centaines de milliers de jeunes en « galère ». (...)

La jeunesse partage des éléments en commun ; elle est plus réceptive aux nouveautés, aux nouvelles technologies par exemple. Elle est aussi beaucoup plus souvent marquée par le chômage et la précarité. Enfin, les jeunes dans leur ensemble subissent massivement la hausse du prix des logements. Mais ce serait un profond contresens de ne pas observer, à l’intérieur de cette jeunesse, des divergences énormes. De l’école à l’emploi en passant par la santé, les loisirs ou le logement, les jeunes subissent les difficultés ou les avantages liés à leur milieu social.

Pour la jeunesse d’aujourd’hui, c’est moins la situation sociale qui cristallise les tensions - les jeunes Français ne sont pas forcément moins bien lotis que leurs voisins - que les décalages qui existent entre les discours et les actes, comme souvent dans notre pays. Les institutions ne cessent de clamer la nécessité d’aller vers plus d’égalité, de se pencher sur l’avenir de la jeunesse. En pratique, les politiques ne suivent pas.

Pour deux raisons.

  • La première, c’est que les politiques publiques destinées à favoriser le sort des jeunes ne sont pas à la hauteur, loin s’en faut. (...)
  • La seconde est liée à l’analyse des difficultés des jeunes : ils ont d’abord besoin de politiques sociales tout court, pas spécialement destinées aux jeunes adultes. Dans les domaines de la santé, de la culture, des transports en commun et de la lutte contre la précarité, etc. (...)

Les différentes mesures prises dans le domaine de l’éducation, de la maternelle au collège, depuis 2012, vont dans la bonne direction, mais restent homéopathiques quand on songe au défi de la modernisation de l’école française. Depuis les années 1970, l’école a été massifiée sans être modernisée. Frénésie de notation, académisme scolaire, classes surchargées, domination de la filière S, inégalités massives de financement des filières de l’enseignement supérieur : sur l’essentiel, rien n’aura changé.

Sans exagérer le phénomène (non, l’école n’amplifie pas les inégalités ! [3]), la plupart des enquêtes montrent que l’école française chouchoute les enfants d’une minorité qui dispose des titres scolaires. Que l’égalité des chances à l’école est une vaste hypocrisie. (...)

L’hypocrisie de notre pays face à ses jeunes est une insulte à nos valeurs républicaines. Cette violence explique leur exaspération, bien au-delà des quartiers les plus défavorisés où la tension existe depuis longtemps. Elle est une raison de leur attirance pour des partis qui leur présentent des boucs-émissaires facilement désignés. L’ampleur du vote FN chez les jeunes (un tiers des votants aux dernières élections régionales) est inédite quand, traditionnellement, ceux-ci votent pour les partis progressistes. Des verrous ont sauté et cela prépare un avenir sombre à notre démocratie si rien n’est fait.

Il existe deux solutions pour essayer de régler le problème. Soit les générations plus âgées cessent d’entretenir de faux espoirs et assument un discours adapté à leurs actes : plus de flexibilité et de concurrence, quel qu’en soit le prix social à payer. Mettre fin à des illusions éviterait bien des désillusions. En clair : « jeunes, débrouillez-vous ». C’est la voie du social-libéralisme actuel (...)

Soit ces générations au pouvoir croient encore au progrès social, à la solidarité et à la lutte contre les inégalités et mettent en place des politiques sociales qui répondent aux besoins concrets des jeunes et au-delà, de l’ensemble de la population. De la réforme fiscale à celle de l’enseignement, en passant par le logement, la santé, la culture ou les loisirs, les pistes à suivre sont nombreuses [5]. Mais cela implique d’autres valeurs et une autre forme de courage politique que celles qui nous gouvernent actuellement pour affronter le pouvoir des groupes sociaux dominants.