
Les dépenses en jeux d’argent pèsent sur les plus pauvres et les moins diplômés. L’État, autorité de tutelle du secteur et principal actionnaire de la Française des Jeux, exploite l’espoir illusoire d’un gros lot. L’analyse et les propositions de Quentin Duroy et Jon D. Wisman, économistes.
Les recettes publiques issues des produits de la Française des Jeux (FDJ), du Pari Mutuel Urbain (PMU), des jeux en ligne et des casinos s’apparentent à un impôt « régressif » [1]. Les ménages les plus démunis y laissent en effet à l’État un pourcentage de leurs revenus supérieur à celui des catégories aisées. Les plus défavorisés jouent davantage et, de fait, payent cet impôt sur la base d’une promesse illusoire d’un futur meilleur. Le développement incontrôlé des jeux d’argent nourrit les recettes fiscales de l’État censé réguler ces activités, mais pèse toujours plus lourd sur les revenus des moins favorisés.
En France, la loi de 1836 encadre très strictement les jeux d’argent qui, en principe, sont interdits. Plusieurs dérogations y ont été apportées, permettant la création de la Loterie nationale (devenue la FDJ) et du PMU, donnant l’autorisation à certains casinos d’exercer leurs activités et, plus récemment, ouvrant les jeux d’argent en ligne à la concurrence. Tous ces organismes et sociétés sont soit détenus par l’État, soit sous sa tutelle.
Les dépenses totales en jeu d’argent s’élevaient à 46 milliards d’euros en 2016 selon l’Insee. Les joueurs ont reçu environ 36 milliards d’euros de gains et dix milliards sont revenus à l’État et aux actionnaires privés, sous des formes diverses (dividendes, taxes, etc.). (...)
Ces dernières années, les dépenses en jeux d’argent ont augmenté beaucoup plus rapidement que la moyenne des dépenses. (...)
Le milieu socio-économique n’est pas un déterminant majeur du fait de jouer. Tous les milieux sociaux sont représentés de manière relativement proportionnelle parmi les plus de 50 % de la population âgée de 15 à 75 ans qui jouent au moins une fois par an (à la loterie en général). En revanche, jouer régulièrement distingue nettement les joueurs selon leur catégorie socio-économique : parmi les joueurs actifs – ayant joué au moins 52 fois et/ou au moins 500 euros sur 12 mois – environ neuf personnes sur dix ont, au mieux, le baccalauréat [4].
Les joueurs issus des foyers les plus pauvres consacrent aux jeux d’argent un pourcentage de leur budget deux fois et demi plus élevé que les autres foyers. Ils ont un plus grand risque de développer une addiction.(...)
Pour les plus démunis, on peut concevoir le jeu comme une forme de tentative d’assurance contre le risque économique (chômage, bas salaires, etc.). Le problème est que la prime à payer est énorme rapportée à la faiblesse des probabilités de gain(...)
Les jeux d’argent donnent aux ménages à bas revenus l’illusion d’un plus grand contrôle de leur destinée au travers du choix de quelques nombres sur une grille ou bien encore d’un cheval sur lequel miser. Les moins fortunés, qui ont, en général, un niveau d’éducation moins élevé et des possibilités d’avancement réduites dans l’emploi, ont tendance à faire preuve d’une préférence forte pour le présent (c’est-à-dire pour un gain immédiat) pour se sortir des difficultés auxquelles ils doivent faire face.
L’augmentation des offres de jeux de grattage par la FDJ exploite cet espoir de gain immédiat. Le développement rapide des offres de jeux permet à l’État de soustraire des fonds aux joueurs issus de milieux socio-économiques modestes.