
En Europe, la transition vers des sources d’électricité renouvelables se heurte à un obstacle de taille : le réseau de lignes à haute tension, mal adapté aux flux intermittents issus des parcs éolien et solaire. Sa modernisation et son aspect technique masquent un choix politique : l’énergie est-elle un bien commun nécessitant des infrastructures d’intérêt public ou une marchandise devant circuler dans toute l’Union ?
Désormais, le concept d’autonomie énergétique n’est plus une lubie de militant Vert. En France, des collectivités, comme la communauté de communes du Mené, dans les Côtes-d’Armor, en font un objectif affiché. Ce territoire breton de six mille cinq cents habitants souhaite, selon l’un des responsables du projet, « parvenir à 75 % d’autonomie en 2020 et à l’autosuffisance en 2030 pour les consommations privée, publique et professionnelle (1) ». Un réseau de « territoires à énergie positive » réunit des collectivités locales qui déclinent à leur échelle les principes de la démarche négawatt : sobriété, efficacité et développement des énergies renouvelables.
Au niveau européen, le projet « 100 % RES Communities », lancé en avril 2012 pour une durée de trois ans, doit permettre d’expérimenter des politiques locales de l’énergie allant dans le même sens. Mais, pendant ce temps, l’Union européenne et ses Etats membres suivent une tout autre voie, qui pourrait annuler les bénéfices du solaire et de l’éolien — lesquels ne sont pas les seules sources d’énergies renouvelables (...)
Le principal système de subvention retenu par les gouvernements européens contraint de surcroît les gestionnaires de réseaux à racheter aux producteurs le courant d’origine renouvelable à des tarifs incitatifs, supérieurs au prix moyen de l’électricité d’origine fossile ou nucléaire, pour une durée de l’ordre de quinze à vingt ans. Mais il laisse aux producteurs et aux distributeurs le soin de s’adapter pour faire face à cet afflux d’énergies intermittentes.
Ceux-ci doivent par ailleurs mettre en place des capacités d’appui dites de backup : puisqu’il est impossible de savoir si une installation éolienne ou solaire fonctionnera lorsqu’on en aura besoin, il faut disposer en parallèle d’une capacité de production mobilisable à tout moment. Les centrales de backup, démarrées ou arrêtées en fonction de la production éolienne ou solaire, brûlent du charbon, du fioul ou du gaz, et émettent donc des quantités importantes de dioxyde de carbone.
D’autre part, comme les territoires les plus favorables aux renouvelables ne sont pas nécessairement ceux qui consomment l’énergie produite, il est nécessaire de la transporter, parfois sur de longues distances. (...)
L’excès d’énergie d’origine renouvelable en période de faible demande conduit même à la formation de prix négatifs sur les marchés : à plusieurs moments au cours de l’année, les distributeurs d’électricité, obligés par contrat de racheter l’énergie renouvelable aux producteurs, doivent payer pour qu’on les débarrasse de cette encombrante marchandise. Les gestionnaires de centrales hydroélectriques, actuellement seuls à disposer de capacités significatives de stockage d’énergie (en remontant l’eau dans les barrages), en retirent les bénéfices en absorbant cette surproduction... pour la revendre ensuite au prix fort en période de pointe. (...)
Les opposants aux énergies renouvelables ne manquent pas de dénoncer les aberrations provoquées par ces conceptions très libérales de leur développement. Pourtant, il serait tout à fait possible de procéder autrement. Un soutien public intelligent porterait en premier lieu sur les économies d’énergie et, dans le domaine de la production, se répartirait mieux entre les sources intermittentes (éolien, solaire...) et les autres énergies renouvelables (méthanisation, bois, géothermie, marémoteur, etc.). Des solutions locales de stockage (hydrauliques, calorifiques, à air comprimé...) permettraient de concevoir des systèmes répondant aux besoins et aux spécificités des territoires. Tout cela ne coûterait sans doute pas plus cher que les grands projets européens d’interconnexion, qui nécessiteront d’investir 200 milliards d’euros d’ici à 2020. Mais il faudrait pouvoir compter sur un véritable service public de l’énergie. Celui-là même que l’Union européenne s’attache à ruiner et que les Etats renoncent à préserver.