
Souvent il m’est arrivé d’entendre un Manouche ou un Yéniche, ce sont eux dont je suis le plus proche, qui, dans un moment de contrariété consécutif à une mésentente, s’emportait contre la société majoritaire, contre « ces Gadjé qui ne peuvent pas nous voir ».
L’emportement passager débouche sur un constat pessimiste et surtout essentialisant, pourquoi les Gadjé ne pourraient-ils pas nous voir ? Pas nous voir, pas nous sentir, pas nous blairer, pas nous encaisser ni nous supporter, l’antagonisme serait-il irréductible ? Ces Gadjé, ces « autres », c’est-à-dire la société majoritaire, seraient-ils dans l’incapacité de nous voir ou refuseraient-ils de nous voir, nous accepter ? Est-ce une question de pouvoir ou de vouloir ?
Débats, promesses et complexité
La forme particulière de racisme qu’est l’antitsiganisme tient à définir le monde tsigane sous forme de communauté. Qu’un fait divers, un acte de délinquance soit commis par un individu plus ou moins considéré comme « gens du voyage », cette « appartenance » est aussitôt mise en avant (...)
L’argumentaire raciste conclut du relatif à l’absolu sans s’embarrasser de détails, insiste systématiquement sur l’existence d’un communautarisme centrifuge et solidaire dans la délinquance.
Un flot continuel de rumeurs et d’accusations
Rappelons que l’ensemble des Manouches, Gitans, Yéniches et divers considérés comme Tsiganes et apparentés sont au nombre de 400 000 environ sur le territoire français, ce qui représente une proportion approximative de 0,6 %, soit une très faible densité de 6 à 7 Tsiganes pour 1 000 habitants (chiffres du Conseil de l’Europe).
Contre ces Français, ces Européens, avec leurs qualités, leurs défauts, leur banalité aussi, un flot continuel de rumeurs et d’accusations, une amplification phénoménale du moindre fait divers, une reprise incessante des plus vieux poncifs, des plus vieux stéréotypes sur le réseau Twitter et le réseau Facebook. (...)
Et pour lutter contre ces flots de haine continuels, la réplique n’est pas seulement juridique ou judiciaire, elle prend aussi la forme pédagogique, mais il faudrait être plus nombreux et nous sommes bien seuls…
Elle avait peut-être raison la vieille Manouche, il avait peut-être raison le vieux Yéniche, le racisme antitsigane, l’antitsiganisme, il est possible que la société ne puisse pas le voir… ou ne veuille pas le voir.