
Le secteur de l’énergie éolienne concerne de multiples acteurs aux rôles bien spécifiques, du « turbinier » à l’exploitant en passant par le développeur et l’« agrégateur ». Avec la dérégulation du marché de l’énergie, le secteur n’échappe pas non plus à la concentration et à la financiarisation.
Il n’était peut-être pas nécessaire de commencer par l’atelier spécifique sur les « bridages acoustiques » et la différence entre les « balourds aérodynamiques et massiques ». Et pourtant, c’est bien de cela dont on parlait, ces 19 et 20 septembre, à Paris, pour cette 8e édition du colloque national éolien dédié aux « solutions concrètes pour la France de demain ». Un rendez-vous organisé par l’association France énergie éolienne, qui regroupe 90 % des acteurs de l’éolien en France. Comprenez : des entreprises de la filière venues du monde entier, et qui investissent et travaillent sur le territoire français.
Bienvenue dans un monde où tout est bleu, comme le ciel, et blanc, comme les machines. Un rendez-vous au croisement entre le monde des ingénieurs, des techniciens et des commerciaux. Ici, comme dans beaucoup d’autres sphères, on croise essentiellement des hommes blancs en costume, plutôt jeunes. La plupart ne travaillent dans le domaine que depuis moins de cinq ans : « La filière est encore jeune », m’explique-t-on. Si jeune qu’on n’hésite pas à utiliser de nombreux gadgets pour la promouvoir, de la clef USB au casque de réalité virtuelle pour visiter une éolienne en passant par la vidéo collaborative pour décrire « son expérience » de l’éolien. (...)
Le discours introductif d’Olivier Perot, directeur de Senvion et président de l’association organisatrice, France énergie éolienne (FEE), ne laisse aucun doute sur les affinités du moment : « Des forces puissantes sont en marche », lance-t-il d’emblée au public, avant de faire un éloge du « progrès » dont « des philosophes à la noix nous disent que c’est un mot dépassé ». Pour lui, c’est clair, « l’éolien est le moteur de la transition énergétique qui est en marche ». Clairement, on est plus proche de la « start-up nation » que de l’écologie politique, même si l’objectif commun est « de vivre dans un monde où notre énergie ne met plus en danger les générations futures ».
Difficile d’échapper à la communication omniprésente et d’obtenir des informations claires. On est là pour se vendre, se faire bien voir, certaines entreprises n’hésitant pas à jouer des codes sexistes les plus traditionnels pour attirer d’éventuels clients, même si l’on échappe aux outrances du Salon de l’automobile. Ici, on est entre professionnels pour parler business et rencontrer de potentiels investisseurs. Se croisent les trois grandes familles de l’industrie éolienne : constructeurs, développeurs et exploitants, auxquels s’ajoutent des fournisseurs de service spécialisés. (...)
2017 est une année charnière à de nombreux titres pour l’éolien. Depuis le mois de janvier, le système de rémunération a considérablement évolué. Pour comprendre, il faut faire un brin d’analyse de fonctionnement du marché de l’énergie.
Jusqu’ici, quand on produisait de l’énergie éolienne, on devait passer un contrat avec le distributeur EDF, pour une durée donnée et avec un tarif de rachat garanti à un prix donné. Un tarif d’achat largement subventionné, pour encourager la filière dans cette période naissante. Le financement s’opérait via une taxe sur les factures d’électricité, la « contribution au service public de l’électricité » (CSPE). En 2016, selon la Commission de régulation de l’énergie, l’éolien recevait 17 %, soit 1,3 milliard d’euros, du montant de cette taxe.
Mais l’Union européenne a accéléré la mise en concurrence du marché de l’électricité et des énergies, la France a donc dû adapter sa réglementation et supprimer ce tarif de rachat garanti pour le remplacer par de nouveaux dispositifs. (...)
Pour les entreprises cotées en Bourse, Vestas, Siemens-Gamesa ou Nordex, la baisse des commandes d’éoliennes conduit directement à une chute du cours de l’action. Àl’inverse, Enercon, entreprise d’origine familiale, reste relativement épargnée. « La France demeure un des marchés les plus stables, et le changement du mode de rémunération va se faire progressivement, avec un double système pendant quelques années », espère le constructeur.
Mais partout, les offres d’achat ou de rachat se multiplient. Il est fort à craindre que l’on aboutisse à une plus grande concentration d’entreprises qui écrase toutes les autres, notamment les plus vertueuses. Le renouvelable ne renouvelle pas les pratiques économiques. « Le secteur n’est pas plus vertueux qu’un autre », reconnaît Stéphane Chatelin, de Negawatt.
Derrière toute cette logique folle, les soucis écologiques pèsent finalement bien peu, les objectifs de réductions de consommation d’énergie semblent bien lointains. Et les problèmes posés par la technologie éolienne restent, eux, au second plan.