
À Réauville, dans le sud de la Drôme, dix hectares de forêt ont été rasés pour implanter une centrale solaire. Depuis, les regrets nourrissent une envie et une énergie farouches de ne plus répéter les mêmes erreurs.
7 janvier. Dans ma boîte mél submergée, je découvre un message comme on reçoit une bouteille à la mer. Sylve m’écrit : « Je te suis depuis des années maintenant, et je vois en toi une personne humaine (ce n’est pas peu dire dans ce monde de fous) qui acte dans le bon sens. Bravo pour tout ce que tu essayes de faire, y’a du boulot, y’a pas ! Alors je me dis que de te contacter pour pareil sujet peut nous aider, nous Réauvillois qui nous retrouvons devant le fait accompli d’un parc photovoltaïque qui va dévaster 10 ha de bois et ses animaux… Tout ça pour de l’énergie verte, quel mauvais humour. »
Quelques échanges plus tard, rendez-vous est pris, et le 29 janvier nous nous retrouvons au village de Réauville, 370 habitants, dans le sud de la Drôme. De là, Sylve nous guide jusqu’à sa maison au fond des bois pour nous expliquer tout ça. Nous, c’est Hélène et Didier, que j’ai embarqués avec moi, deux camarades précieux, militants aguerris qui sont du coin et pourront faire relais. (...)
Dix hectares de forêt volatilisés en dix jours
Ce qui s’est passé à Réauville est dramatiquement simple. Une enquête d’utilité publique, des feuilles placardées sur le panneau d’affichage de la mairie que personne ne lit, une procédure respectée dans l’indifférence générale et le résultat : dix hectares de forêt volatilisés en dix jours. Un hectare par jour, dimanche compris. L’efficacité redoutable du capitalisme vert. Ces dix hectares, propriété de la commune, ont été accordés à SolaireDirect, société à 1 € de capital, rachetée depuis juillet 2015 par le géant Engie (ex-GDF Suez), pour installer un parc de panneaux solaires. Les travaux ont été diligemment réalisés par Bouygues Énergie. Voilà.
En France, aujourd’hui, on rase des forêts pour installer du solaire. On promeut des fermes-usines à mille vaches pour en réalité alimenter la vraie source de rentabilité : le méthaniseur.
Du renouvelable qui n’a plus rien de vert. (...)
la discussion sur du local, partie de Réauville, arrive assez vite à des questions d’ordre global. On évoque les communes qui n’ont plus d’argent et se retrouvent asphyxiées par les logiques de réduction des dépenses publiques, l’austérité. Alors oui, quand une grande entreprise comme Engie débarque, les communes se font plumer. Un bail de près de quarante ans, dix hectares privatisés. La location des terres rapportera 40.000 euros par an à la commune. On a vu ça ailleurs, à Roybon pour le Center Parcs où le maire avait outrageusement anticipé son budget. Mais une fois qu’on a dit ça…
Quand même. Sur la communauté de communes, d’autres terrains auraient pu être trouvés. La mairie seule possède 153 hectares et ce coin de la Drôme provençale d’oliviers, de cigales et de rocaille présente de nombreuses surfaces arides, sans arbre et non arable. Alors, pourquoi là ? Alors que la forêt recule partout dans le monde, qu’elle est une ressource inestimable, pourquoi une forêt de chênes qui met des années à se créer, pourquoi avoir rasé cet écosystème où vivaient le lézard des murailles, qui est en voie de régression, et la coronelle lisse, une espèce protégée… Il y a peut-être une bonne raison, mais on ne la connaît pas.
Mais, alors qu’on discute des conséquences environnementales et de perte de biodiversité avec Sylve et Clément, ce qui me frappe surtout, au-delà de ce nouvel exemple des dégâts qui se multiplient au nom de l’argent-roi, c’est de constater que, dans ce cas particulier, je ne retrouve pas le schéma délétère de projet nuisible qui fait naître une mobilisation locale puis voit le jour malgré tout, laissant tout le monde découragé et démobilisé. C’est même l’inverse. (...)
aujourd’hui, ils veulent s’organiser. Pour que cette « grosse connerie qu’on a laissé faire » ne se reproduise pas. Monter un comité citoyen pour Réauville, accompagner et soutenir les conseillers municipaux pour que tout ne se décide pas à onze élus, reprendre les choses en main, en citoyens vigilants et informés. Au marché, autour du lavoir, des réseaux se créent, des élus municipaux réalisent ce qui s’est passé sous leur nez, on se rencontre, on discute, on alerte, on essaye de s’organiser. Il y a de la motivation, peu de moyens, mais du cœur et de la volonté. Celle de concrétiser le comité citoyen afin de rassembler les gens. (...)