
La progression de la part allouée aux dividendes, le développement de la finance et l’adoption d’une politique fiscale accommodante ont permis aux riches de creuser l’écart. Une analyse de Thierry Pech, directeur de la rédaction d’Alternatives économiques. Extrait du hors-série poche Alternatives Économiques "Les inégalités en France".
Les facteurs de cet enrichissement accéléré sont multiples. Ils concernent d’abord l’évolution du partage primaire des revenus [2]. Contrairement à une idée répandue, le partage de la valeur ajoutée entre travail et capital n’est pas tellement en cause : même si le taux de marge des entreprises est aujourd’hui de trois points plus élevé que dans les années 1950 et 1960, ce partage reste relativement stable sur très longue période (autour de deux tiers pour les salaires et un tiers pour les profits). C’est ce qui se passe à l’intérieur de chacune de ces deux sphères - salaires et profits - qu’il faut observer si l’on veut comprendre l’essor des plus riches ces deux dernières décennies : d’un côté, une distribution des salaires plus inégalitaire ; de l’autre, une augmentation soutenue de la part allouée aux dividendes : elle pesait 3 % de la valeur ajoutée en 1977, contre 8 % aujourd’hui, un record atteint au détriment des autres usages des profits (investissement, épargne, désendettement…). Ces facteurs sont d’autant plus puissants pour expliquer l’essor des très riches que nombre d’entre eux jouent sur les deux tableaux : le développement du capitalisme patrimonial [3], en théorie pour lier les cadres dirigeants des grandes entreprises aux intérêts de leurs actionnaires, a en effet favorisé les rémunérations hybrides dans les fonctions exécutives des entreprises, c’est-à-dire des rémunérations composées d’un salaire fixe et de paiements en capital sous la forme de stock-options, d’actions, etc.
Mais la mesure de ces évolutions dans le partage primaire des revenus exclut en général les sociétés financières. Or l’explosion de la sphère financière ces deux dernières décennies constitue un autre facteur décisif. C’est en effet dans ce secteur que les très hauts revenus ont le plus augmenté. D’après Olivier Godechot, ce sont ainsi les cadres dirigeants de la finance qui occupent aujourd’hui le haut du pavé parmi les plus riches, alors qu’il y a une trentaine d’années les capitaines d’industrie arrivaient en tête.
Un troisième facteur explique le décollage des hyperriches : les orientations de la politique fiscale. (...)
Socialement injuste, cette stratégie dite du "trickle down" (littéralement, le "ruissellement") s’est avérée en outre économiquement inefficace. En pratique, l’essor des riches pendant cette période aura bien davantage consisté à garantir des gains considérables aux détenteurs de capital dans un contexte de croissance molle. Et aujourd’hui, à la faveur d’une crise qui met durement à l’épreuve les finances publiques, nombre d’États européens en reviennent. (...)
les riches sont effectivement très riches mais aussi très peu nombreux. Trop peu pour assurer des recettes conséquentes aux États européens. Même en leur imposant des prélèvements de niveau confiscatoire, les recettes fiscales qui en résulteraient seraient très modestes par rapport à l’étendue du problème que l’on cherche à résoudre. Autrement dit, si une augmentation sensible de la fiscalité des plus riches est légitime, ce n’est pas tant pour des raisons budgétaires que pour des raisons de justice sociale.
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