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La Libye face à l’impérialisme humanitaire. Entretien avec Jean Bricmont
Article mis en ligne le 10 avril 2011

Kosovo, Irak, Afghanistan : les partisans d’une intervention en Libye n’auraient-ils pas retenu la leçon ? Jean Bricmont, auteur d’un ouvrage sur l’impérialisme humanitaire, nous explique pourquoi le droit d’ingérence est incompatible avec la paix dans le monde et dessert les causes humanitaires. A moins bien-sûr, que ces causes ne soient que des prétextes…

Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste l’impérialisme humanitaire ?
C’est une idéologie qui vise à légitimer l’ingérence militaire contre des pays souverains au nom de la démocratie et des droits de l’Homme. La motivation est toujours la même : une population est victime d’un dictateur, donc il faut agir. On nous sort alors les références à la Deuxième Guerre mondiale, à la guerre d’Espagne et j’en passe. Le but étant de faire accepter l’intervention. C’est ce qui s’est passé pour le Kosovo, l’Irak ou l’Afghanistan.(...)

Et aujourd’hui, c’est le tour de la Libye ?
Il y a une différence car ici, une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies l’autorise. Mais cette résolution a été votée à l’encontre des principes-mêmes de la Charte des Nations Unies. En effet, je ne vois aucune menace extérieure dans le conflit libyen. On a évoqué la notion de la « responsabilité de protéger » les populations, mais en brûlant un peu les étapes. De plus, il n’y a pas de preuves que Kadhafi massacre la population dans le simple but de la massacrer C’est un peu plus compliqué que cela : il s’agit plutôt d’une insurrection armée et je ne connais pas de gouvernement qui ne réprimerait pas ce type d’insurrection. Evidemment, il y a des dommages collatéraux et des morts parmi les civils. Mais si les Etats-Unis savent comment éviter de tels dommages, qu’ils aillent l’expliquer aux Israéliens et qu’ils l’appliquent eux-mêmes en Irak et en Afghanistan. Nul doute également que les bombardements de la coalition vont aussi provoquer des pertes civiles.
Je pense donc que d’un point de vue strictement légal, la résolution du Conseil de Sécurité est discutable. Elle est en fait le résultat d’années de lobbying pour faire reconnaître le droit d’ingérence qui se trouve ici légitimé.(...)

le conflit libyen n’a rien d’exceptionnel. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, que ce soit à Gaza, à Bahreïn ou, il y a quelques années, au Congo. Dans ce dernier cas, nous étions dans le cadre d’une agression extérieure de la part du Rwanda et du Burundi. L’application du droit international aurait permis de sauver des millions de vie mais on ne l’a pas fait. Pourquoi ?
Ensuite, si on applique les principes de l’ingérence qui sous-tendent l’attaque contre la Libye, cela veut dire que tout le monde peut intervenir partout.le conflit libyen n’a rien d’exceptionnel. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, que ce soit à Gaza, à Bahreïn ou, il y a quelques années, au Congo. Dans ce dernier cas, nous étions dans le cadre d’une agression extérieure de la part du Rwanda et du Burundi. L’application du droit international aurait permis de sauver des millions de vie mais on ne l’a pas fait. Pourquoi ?
Ensuite, si on applique les principes de l’ingérence qui sous-tendent l’attaque contre la Libye, cela veut dire que tout le monde peut intervenir partout.(...)

Et si on devait modifier le droit international par de nouvelles règles légitimant le droit d’ingérence, cela déboucherait sur la guerre de tous contre tous. C’est un argument auquel les partisans du droit d’ingérence ne répondent jamais.(...)

tous les pays qui sont dans la ligne de mire des Etats-Unis vont se sentir menacés et vont chercher à renforcer leur armement. tous les pays qui sont dans la ligne de mire des Etats-Unis vont se sentir menacés et vont chercher à renforcer leur armement. (...)

si la Libye avait l’arme nucléaire, elle n’aurait jamais été attaquée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on n’attaque pas la Corée du Nord. La gauche qui soutient l’intervention en Libye devrait donc bien se rendre compte que la conséquence de l’ingérence humanitaire est de relancer la course à l’armement et de créer des logiques de guerre à long-terme.(...)

Il faut réfléchir aux conséquences. Maintenant que les forces occidentales sont engagées, il est évident qu’elles vont devoir aller jusqu’au bout, renverser Kadhafi et installer les rebelles au pouvoir. Que va-t-il se passer alors ? La Libye semble divisée. S’il y a une résistance à Tripoli, l’Occident va-t-il occuper le pays et s’embarquer dans une guerre sans fin comme en Irak ou en Afghanistan ?(...)

Il est évident qu’après cette intervention, le nouveau gouvernement libyen sera prisonnier des intérêts occidentaux.Il est évident qu’après cette intervention, le nouveau gouvernement libyen sera prisonnier des intérêts occidentaux.
(...)
Si l’intervention militaire n’est pas la solution, que faire ?
Il aurait déjà fallu essayer honnêtement toutes les solutions pacifiques. Ca n’aurait peut-être pas fonctionné mais là, il y a eu une volonté manifeste de rejeter ces solutions. C’est d’ailleurs une constante dans les guerres humanitaires.(...)

je suis furieux quand j’entends, en Europe, des gens de gauche dénoncer l’horrible Alliance Bolivarienne qui soutient le dictateur Kadhafi. Ces gens n’ont rien compris ! Les dirigeants latinos sont des personnes au pouvoir avec d’importantes responsabilités. Ce ne sont pas des petits gauchistes qui bavardent dans leur coin. Et le grand problème de ces dirigeants, c’est l’ingérence des Etats-Unis : moins les Etats-Unis pourront faire ce qu’ils veulent partout dans le monde, mieux ça vaudra pour tous ces pays qui tentent de s’émanciper de leur tutelle et pour le monde entier.(...)

C’est malheureux, mais le seul parti français à s’être opposé à l’intervention en Libye du point de vue des intérêts français est le Front National. Il a notamment évoqué la menace des flux migratoires et en a profité pour se démarquer de l’UMP et du PS en disant qu’il n’avait jamais collaboré avec Kadhafi. Si la guerre en Libye ne se passe pas comme prévu, ça pourra bénéficier au Front National pour 2012.(...)

maintenant, les nouveaux gouvernements égyptien et tunisien risquent de ne plus s’aligner sur les intérêts occidentaux et par conséquent, pourraient être hostiles à Israël.
Pour s’assurer le contrôle de la région et protéger Tel-Aviv, les Occidentaux veulent probablement se débarrasser des gouvernements déjà hostiles à Israël et aux Occidentaux. Les trois principaux sont l’Iran, la Syrie et la Libye. Cette dernière étant la plus faible, on l’attaque. (...)

L’Occident rêvait de dominer le monde mais on voit depuis 2003, avec le fiasco irakien, qu’il en est incapable.(...)

L’Occident, qui pensait pouvoir contrôler le monde arabe avec des marionnettes comme Ben Ali et Moubarak, se dirait soudainement : « On a eu tout faux, maintenant on va soutenir la démocratie en Tunisie, en Egypte et en Libye. » ? C’est d’autant plus absurde que l’une des grandes revendications des révolutions arabes est le droit à la souveraineté. Autrement dit, pas d’ingérence !
L’Occident doit se résigner : le monde arabe, tout comme l’Afrique et les Caraïbes, ne lui appartient pas. (...)

il faut savoir que la politique d’ingérence nécessite un budget militaire important. Sans le soutien des Etats-Unis et leur budget militaire délirant, la France et la Grande-Bretagne ne se seraient pas engagées. La Belgique encore moins. Mais tous ces moyens mis à disposition ne tombent pas du ciel. Ce budget est basé sur des emprunts à la Chine qui entraînent des déficits US et toutes sortes de problèmes économiques. On y pense rarement.(...)

Les guerres et les embargos ont toujours des conséquences désastreuses. Selon moi, la meilleure alternative est la coopération avec les différents pays, quels que soient leurs régimes. A travers le commerce, mais pas celui des armes évidemment, les idées circulent et les choses peuvent évoluer, sans guerre.(...)

le conflit libyen n’a rien d’exceptionnel. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, que ce soit à Gaza, à Bahreïn ou, il y a quelques années, au Congo. Dans ce dernier cas, nous étions dans le cadre d’une agression extérieure de la part du Rwanda et du Burundi. L’application du droit international aurait permis de sauver des millions de vie mais on ne l’a pas fait. Pourquoi ?
Ensuite, si on applique les principes de l’ingérence qui sous-tendent l’attaque contre la Libye, cela veut dire que tout le monde peut intervenir partout.(...)

tous les pays qui sont dans la ligne de mire des Etats-Unis vont se sentir menacés et vont chercher à renforcer leur armement. (...)

Il est évident qu’après cette intervention, le nouveau gouvernement libyen sera prisonnier des intérêts occidentaux. (...)

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