
Depuis juillet, les terres de Cédric Herrou sont devenues une communauté Emmaüs qui propose ses productions bio en circuit court. Personnes solidaires et sans-papiers y cultivent un avenir commun.
De 2015 à 2017, cet agriculteur de Breil-sur-Roya, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Nice, s’est rendu célèbre par son aide aux exilés. Son exploitation était devenu « le camping le plus surveillé de France », dit-il. En bordure de la route et de la voie ferrée montant de Vintimille, ce havre a accueilli jusqu’à 150 personnes. L’endroit fut cerné par des dizaines de gendarmes mobiles. Puis, « le camping Cédric Herrou, est devenu Emmaüs Roya », dit l’agriculteur. Depuis juillet 2019, il est coresponsable de cette nouvelle communauté, pensée pour enraciner l’accueil et la solidarité.
Pousser les personnes migrantes à prendre toujours plus de risques
Deux années durant, la Roya était devenue une souricière pour celles et ceux qui cherchaient à contourner les contrôles du poste-frontière de Menton, sur la côte, espérant entrer en France pour y trouver refuge ou continuer leur route vers la Grande-Bretagne. Par l’emploi des militaires de l’opération Sentinelle et de nombreuses forces de l’ordre, la vallée a été militarisée. Au point de pousser les personnes migrantes à prendre toujours plus de risques, parfois jusqu’à la mort. La solidarité d’une bonne partie des habitants a permis d’éviter bien des drames. (...)
contrairement à la plupart des communautés Emmaüs en France, connues comme des recycleries, l’activité de celle-ci est agricole. Ses productions maraîchères, œufs et transformations bio, sont valorisées en circuit court. (...)
Les sept compagnons d’Emmaüs Roya sont « nourris, logés, blanchis. Ils perçoivent une allocation communautaire de 355 euros par mois et cotisent à la Sécurité sociale », dit Marion Gachet, coresponsable de la communauté. Ceci est possible grâce au statut d’organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire (Oacas) dont dispose Emmaüs depuis 2010. « Pour des personnes qui n’ont pas de droits, c’est un tremplin. Être en activité permet d’aller mieux », dit Marion Gachet. Une façon d’être valorisé et de retrouver de la dignité, tout en se formant à l’agriculture, alors que les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler. Le statut Oacas ne protège pas de l’expulsion les compagnons en situation irrégulière. Le 10 septembre, Hovo, un Arménien membre de la communauté de Rodez (Aveyron) a ainsi été expulsé. (...)
S’il y avait un point commun entre toutes les personnes qui nous avons rencontrées à Emmaüs Roya, ce serait le voyage. Comme une allégorie des inégalités du monde, il y a ceux qui y sont contraints et ceux qui ont la liberté de circuler. Patrick est le seul compagnon de nationalité française. Venu faire du wwoofing chez Cédric Herrou, il s’est « pris une grosse claque » concernant la situation de la frontière « qu’[il] ne connaissai[t] pas ». Adhérant aux valeurs et « se prenant au jeu de ce qui se passe ici », il a décidé de rester. (...)
Caricaturé par les autorités et une partie de la presse comme un promigrant, Cédric Herrou se définit comme « un militant pour la vie avec un grand V. On ne peut pas dissocier humanitaire et politique. C’est un combat de justice fondamentale ». Son projet lie deux priorités actuelles : « lutte écologique et respect des personnes ». Et Emmaüs Roya compte essaimer. « Une quinzaine de projets, qui vont de jardins pour l’autoconsommation des communautés à de véritables fermes sont en cours », nous dit au téléphone Michel Frédérico, vice-président de la branche communautaire et compagnon à Pamiers (Ariège). (...)
Emmaüs Roya cherche un bâtiment comme lieu de vie des compagnons, atelier de transformation et espace de vie associative et culturelle ouvert à tous. (...)