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Observatoire des Inégalités
La construction du ras-le-bol fiscal
Article mis en ligne le 15 septembre 2013
dernière modification le 10 septembre 2013

« Ras-le-bol de payer autant d’impôts ! » C’est le discours ambiant, à droite comme à gauche : les Français paient trop d’impôts. Le bluff des plus aisés a marché : le président a décrété la pause fiscale. Les explications de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

L’impôt sur le revenu est plus faible en France qu’ailleurs

Dans le débat public, quand le terme « impôt » est employé, le citoyen pense « impôt sur le revenu », celui qui réduit le plus les inégalités parce que le taux de prélèvement augmente avec le revenu (on dit qu’il est « progressif »).

La construction du « ras-le-bol » d’ailleurs a été amorcée par la presse à la fin de l’été, au moment de l’envoi des premières feuilles d’impôt sur le revenu. Pourtant, la France est l’un des pays où celui-ci est le plus faible, même quand on y adjoint la contribution sociale généralisée. Mité par les niches et autres dégrèvements, les impôts directs sur le revenu ne représentaient que 7,3 % du Pib en 2010, l’un des plus bas des pays comparables de l’OCDE, contre 8,8 % en Allemagne et 10 % au Royaume-Uni.

Les comparaisons internationales de prélèvements obligatoires n’ont aucun sens

L’artifice utilisé pour dénoncer le poids de l’impôt sur le revenu est de mettre en avant le chiffre de l’ensemble des prélèvements (impôts, cotisations, taxes diverses), parmi les plus élevés au monde. L’ensemble des taxes représentait 42,9 % de la richesse nationale en 2010, moins que le Danemark (47,6 %) mais bien plus que le Royaume-Uni (34,9 %). Ce chiffre n’a pas de sens car il compare des services rendus totalement différents selon les pays [1]. (...)

Les partisans du ras-le-bol oublient aussi que les hausses décidées par la précédente comme la nouvelle majorité portent sur des catégories aux revenus élevés, voir très élevés [7], très au-delà des classes moyennes. Après impôts et prestations sociales, une personne seule entre dans la tranche des 10 % aux revenus les plus élevés à partir de 2 500 euros mensuels [8]... Des catégories qui continuent malgré la crise à voir leurs revenus croître, alors que les plus pauvres enregistrent une baisse nette de leurs ressources [9]. (...)

Quel rôle jouent les médias ?

Le concert médiatique autour du ras-le-bol fiscal a été à peu près parfait. Reste à comprendre pourquoi. Une partie des journalistes savent bien que les comparaisons internationales sont totalement faussées, mais sont hostiles par principe à l’impôt. Ils trouveront toujours qu’ils sont trop élevés. La crise et le fait que les hausses aient été décrétées à l’origine par la précédente majorité les avaient rendus atones jusque récemment. Une autre partie pêche par ignorance. Qui, parmi les journalistes français, a consulté les bases de données obscures de l’OCDE ? Il suffit pourtant de cliquer ici. Une partie de la presse relaie un sens commun, admis dans les médias « sérieux », sans se poser plus de questions. Le phénomène actuel est la réplique exacte de ce qui s’est passé dans les années 2000 et qui a entraîné la mise en place d’une politique de baisses d’impôts [13], impérieuse nécessité largement partagée par l’opinion médiatique durant des années [14]. (...)

Une opération payante... pour les couches aisées
L’objectif du discours actuel sur le poids des impôts est d’éviter que les augmentations aillent plus loin. Il a payé pour les plus riches, puisque la réforme fiscale promise par François Hollande a été enterrée, qu’il n’est plus question de réformer l’impôt en profondeur, que la pause fiscale a été décrétée. Mais la réalité se rappelle à l’exécutif, qui vient d’annoncer une hausse prochaine des cotisations sociales pour préserver le système de retraites, ce qui ne va pas améliorer notre place dans les classements internationaux et entraîner de nouveaux débats… Le plus piquant dans l’affaire c’est qu’un sondage indique que « l’opinion » ne « croit pas » à la pause fiscale (70 %, selon un sondage CSA-Les échos du 5 septembre 2013) : ce qui pour le coup est une preuve de réalisme…
A l’évidence, la démagogie fiscale ne produit guère de gains en politique, comme le montre la déroute de la gauche en 2002, celle de Nicolas Sarkozy en 2012 et l’effondrement de la popularité de l’exécutif actuel. L’immense erreur du gouvernement est d’avoir menti en prétendant ne pas augmenter les impôts tout en le faisant, de façon totalement désordonnée… (...)