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l’ère du peuple
La diabolisation permanente
Jean-Luc Mélenchon
Article mis en ligne le 7 novembre 2019

Ici, la hausse de 13% du prix de ticket de métro à Paris n’a pas donné le résultat qu’il a produit à Santiago du Chili. Là bas, partant de cette revendication, on est arrivé à la tenue d’un référendum en vue de la convocation d’une Assemblée Constituante. Je dois dire que cela me laisse rêveur. Il y aura malheureusement entre temps eu quinze morts à cause de Piñera, le Macron local.

Le peuple français, lui, est soumis pendant ce temps à un débat éreintant sur le port du voile, le droit de signer une pétition et une foule de diversions morbides de cette sorte. Toute la classe médiatique, à des millions de kilomètres des préoccupations simples du commun des gens, semble vouée à exciter tout le monde sur des sujets qui peineraient à exister sans cet appoint morbide. Pendant ce temps, plusieurs millions de personnes basculent dans la pauvreté en une nuit pour cause de réforme de l’indemnisation du chômage, par exemple.

Bref : qu’est-ce que l’actualité ? Une production de l’industrie unifiée de l’information et du spectacle. Le fossé qui se creuse de cette façon aggrave le mépris général de la population pour tous les lieux de pouvoirs où une caste bavarde et vaine semble s’être réfugiée pour parler en rond. (...)

Le niveau médiatique s’est effondré depuis quelque temps déjà. À présent, la scène médiatique est le radeau de la Méduse. Plus un jour sans une provocation grossière ou des propos indignes contre les femmes, contre les musulmans, contre les grévistes, les cheminots, les syndicats, les retraites, tout et tout le monde. La haine et la peur comme lien social sont partout. (...)

En France on ne dialogue plus, on diabolise en rond. On ne dira pas « je ne suis pas d’accord, car » mais « il dit ça parce qu’il est dangereux ». La diabolisation est devenue le mode d’échange.

L’exemple le plus grossier nous a été donné à propos de l’appel pour dire « stop à l’islamophobie ». Un mot suffirait à refuser son soutien à des millions de gens au moment où leur persécution morale, psychologique et physique va jusqu’à un attentat devant une mosquée. J’ai beaucoup réfléchi avant de signer ce texte. D’autres des députés insoumis avaient signé quasi instantanément. J’ai vu qu’en dehors de cette initiative, dont nous avons été saisi par Arié Halimi de la LDH, il n’y avait rien. Aucune initiative, aucune proposition. Aucun geste. Notez : si je n’avais pas posé la question devant l’Assemblée nationale il n’y aurait eu aucun écho de cet attentat avant le huitième orateur de cette séance. (...)

Pas un mot du président de l’Assemblée. Le président de la République n’a pas été à la mosquée, ni saluer les familles des victimes. Comment comprendre un tel niveau de dédain et d’insensibilité ? Comment comprendre un tel de refus d’assumer les devoirs de sa charge au service de l’unité du pays et du régime laïque de notre nation ? Et combien parmi nos nouveaux censeurs n’ont pas eu un mot de protestation quand dix députés insoumis en écharpe ont été expulsé par la « ligue de défense juive » de la marche contre l’assassinat de Mireille Knoll. À présent ils postillonnent d’indignation parce que tel ou tel signataire disqualifierait le message du texte signé.

Pour ma part je signe un texte pour ce qu’il y a dans le texte et pas en raison de ceux dont je découvre ensuite qu’ils l’ont également signé. Sinon je n’aurai jamais signé de texte dans le passé avec Bernard Henri Levy ni avec le CRIF car nous sommes en désaccord sur à peu près tout ce qui a mon avis défini la France comme une République indépendante. Mais il faut savoir faire bloc quand l’essentiel est en jeu. Et l’essentiel est en jeu dans ce pays en ce moment à cause des apprentis sorciers qui veulent spéculer sur la haine des musulmans ou la stigmatisation permanente à leur égard. À mesure que les heures passent, j’observe qu’en partant d’un désaccord sur un mot certains refusent en réalité aux musulmans le droit d’être défendus par des gens qui ne sont pas musulmans et qui veulent faire cesser l’ambiance actuelle contre eux. Ce qui est en cause, c’est l’unité des Français, croyants ou non. Ce qui est en cause, c’est l’autorité des défenseurs intransigeants de la laïcité que nous sommes : nous devons donner la preuve que nous défendons tout le monde et la liberté de tous les cultes. Même quand ce n’est pas nous qui écrivons les textes avec nos mots. (...)

En dehors de cette initiative pour une marche le 10 novembre, quoi d’autre dans le paysage ? L’alternative au texte d’appel à manifester contre la haine des musulmans est la banalisation du silence à propos de la haine des musulmans. Certains ont fait croire à une vague antisémite des gilets jaunes en février dernier en se moquant bien de la réalité de ce qu’ils dénonçaient. Des croix gammées avaient été taguées sur des murs. Le Parisien avait titré sur toute la une : « Ça suffit ». Des rassemblements furent convoquées dans tout le pays, le président en personne s’y rendit. Il passa même auparavant rendre visite à un monument du martyr juif à Paris. Quelques-uns de nos actuels imprécateurs exaltés nous accusèrent lâchement d’être « ambigus » face à l’antisémitisme. Partout dans les rassemblements nous eûmes à subir des grossièretés impunies. Puis on découvrit qu’une seule personne, sans aucun rapport avec les gilets jaunes, avait fait tous les tags incriminés. Ni excuses ni rétropédalage. Le ridicule n’a pas rendu plus vigilant depuis.

En tous cas, rien de toute cette capacité de mobilisation ne s’est manifesté quand il s’est agi des musulmans. Rien. Alors on fait avec ce qu’on a. À mes yeux, les musulmans valent autant que les autres. Ils doivent savoir que la France républicaine, ce n’est pas seulement ceux qui leur tournent le dos aussi grossièrement dans le malheur. Ils doivent savoir que les défenseurs intransigeants de la laïcité que nous sommes garantissent la liberté de leur culte comme celui de tous les autres. Ce qui n’est pas le cas de bien d’autres bonnes âmes qui donnent des leçons mais courent se faire voir à Saint-Sulpice, promeuvent les messes du 11 novembre, les processions de rue ou courent les synagogues kippa sur la tête à tout propos et supportent sans broncher les pires injures et stupidités proférées contre les musulmans.

Je m’adresse à vous, mes amis les plus proches que la campagne de dénigrement de cet appel fait hésiter. Réalisez qu’on ne doit pas accepter de faire des musulmans une catégorie qu’on ne pourrait défendre qu’en combinaison contre la lèpre ! Certes, « islamophobe » est un mot que nous n’aimons pas. Certes nous préférons combattre la « haine des musulmans ». Mais la question posée aujourd’hui n’est pas du tout celle du droit ou non de critiquer une religion. Ce droit n’est pas mis en cause. Le mot aujourd’hui désigne autre chose dans l’esprit public et dans la réalité. Il s’agit de combattre une attitude de haine aveuglée poussant aux mauvais traitements et au crime contre les croyants réels ou supposés d’une religion. C’est ce que dit expressément le texte que j’ai signé à propos de l’islamophobie : « Quel que soit le nom qu’on lui donne, il ne s’agit plus ici de débats d’idées ou de critique des religions mais d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi ». Les lois liberticides dont parle aussi ce texte ne sont pas nommées. C’est dommage. Cela permettrait de clouer le bec à ceux qui semblent vouloir oublier le contenu récent des lois sur l’état d’urgence qui permettent tous les abus ou celle du Sénat contre le seul voile des parents accompagnatrices bénévoles de sorties scolaires.

Me faire donner des leçons de laïcité et d’intransigeance a l’égard des intrusions du religieux dans la politique est un moment savoureux. Car je n’ai pas oublié les indignations sélectives passées et même récentes des mêmes quand je ne voulais rien céder aux autres religions. Ceux-là ne savent pas que la laïcité n’est pas le fouet des maîtres mais l’appel des opprimés qui veulent croire chacun comme bon leur semble qu’un autre monde sera moins cruel que celui-ci. Et si nous nous chargeons plutôt de changer celui-ci ici et maintenant, ne perdons pas de vue de quoi nous parlent les croyants du peuple. Quand Marx parle de « l’opium du peuple » à propos de la religion, on gagne à lire davantage que les premiers deux-cent quatre-vingt signes, car à l’époque on ne pensait pas au format du tweet. Il explique : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu ». Depuis cette vue, après avoir vaincu chez nous les manigances de l’Église catholique contre la République jusqu’en 1920, nous avons vu changer bien des choses. Nous avons appris à connaître avec la « théologie de la Libération » en Amérique latine comment la religion pouvait aussi ne pas être qu’une drogue qui annule la volonté d’agir pour changer le monde mais parfois l’exact contraire. Je ne dis tout cela et ne déborde de mon sujet que pour donner à respirer dans une querelle pour le reste bien étouffante. Pour le reste je persiste et signe au nom du texte réel et du contexte cruel.

Je crois utile de publier ici le texte réel que j’ai signé et je demande en conscience à mes amis de toujours ce qu’ils trouvent vraiment à redire à ce qu’ils lisent ! (...)