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le Monde Diplomatique
La face cachée de la fraude sociale
Article mis en ligne le 1er février 2014
dernière modification le 28 janvier 2014

« La fraude sociale : ce sport national qui plombe notre économie » ; « Fisc, Sécu, chômage : ce que les fraudeurs nous coûtent » ; « Fraudeurs de la Sécu. Ceux qui ruinent la France » ; « La grande triche. Enquête sur les 15 milliards volés à la protection sociale » ; « La France des assistés. Ces “allocs” qui découragent le travail » (1)… La meilleure façon de saper la légitimité de la protection sociale, c’est de laisser entendre qu’elle ressemble à une passoire.

Les tricheurs se glisseraient aisément entre les mailles d’un filet trop lâche, et leur parasitisme finirait par transformer la solidarité nationale en une menace pour le pays. Le 8 mai 2011, au micro d’Europe 1, l’ancien ministre des affaires européennes Laurent Wauquiez n’hésitait pas à comparer l’« assistanat » au « cancer de la société française ». Conclusion (implacable !) : protéger la France impliquerait d’éradiquer la fraude ; et éradiquer la fraude, d’élaguer les droits sociaux.

Nul ne suggère que les filous bénéficiant de prestations indues n’existent pas. Mais, de l’avis même du Conseil d’Etat, « la fraude des pauvres est une pauvre fraude (2) » (...)

Le tapage autour des « abus » présente un second intérêt, moins souvent pointé du doigt, pour les partisans de l’austérité : en faisant peser le soupçon sur les bénéficiaires légitimes, on parvient à dissuader un grand nombre de faire valoir leurs droits. Face à l’armée des « parasites » s’en dresse ainsi une autre, plus massive encore : celle des personnes qui n’accèdent pas aux prestations auxquelles elles ont droit. 5,7 milliards d’euros de revenu de solidarité active (RSA), 700 millions d’euros de couverture-maladie universelle complémentaire (CMU-C), 378 millions d’euros d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, etc., ne sont pas versés à ceux qui devraient les toucher. Et l’addition est loin d’être complète…

Un scandale d’autant plus grand que ceux qui renoncent à leurs droits les financent néanmoins. (...)

les grands argentiers continuent à considérer les dépenses sociales sous le seul angle de leur coût, lequel menacerait les « équilibres budgétaires ». Or cette représentation ignore la fonction centrale de la protection sociale : refuser l’apparition et l’installation d’une classe de « sans-droits », protéger les plus vulnérables et préserver la citoyenneté sociale de chacun.

Rigueur, austérité : l’air du temps renforce l’idée que toute nouvelle augmentation des dépenses doit être compensée par de nouvelles recettes et par diverses mesures d’exonération ou de réduction des prélèvements — au nom de la sacro-sainte « compétitivité », bien entendu. Or on peut adopter une autre vision des choses. En période de crise, les prestations et les aides sociales permettent de compenser les pertes de revenus et de soutenir la demande. Elles contribuent à la création d’emplois dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. (...)

Lorsqu’on réhabilite les fonctions positives de la dépense sociale — qui joue un rôle plus vertueux que l’épargne des ménages, avec ses comportements rentiers ou spéculatifs —, la contradiction entre l’égalité de l’accès aux droits et le respect des contraintes économiques disparaît. Le non-recours n’apparaît plus comme une aubaine, une occasion d’économies faciles : il signe l’échec de politiques publiques caractérisées par une destruction massive de richesses.

Aider les gens à faire valoir leurs droits profiterait donc à tous…