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Quartiers libres
La manière dont on se relève ( L’Etat m’a tabassé, il continue son travail )
Mathieu Rigouste est militant et chercheur indépendant en sciences sociales. Essayiste original, il tente, à travers divers travaux et livres, d’articuler logiques économiques, politiques et sécuritaires.
Article mis en ligne le 10 janvier 2019
dernière modification le 8 janvier 2019

Une nuit de juin 2013, j’ai été attrapé par des policiers qui m’ont cassé le poignet en me traînant par les menottes jusque dans un véhicule et m’ont ensuite mis la tête dans les murs et portes du commissariat central de Toulouse.1 Peut-être parce qu’ils manquaient d’imagination mais sans doute avant tout parce que l’endroit est propice. Ils ont fait ça sous les yeux et les oreilles de tous leurs collègues occupés à garder la paix qui ne leur avait rien demandé non plus. Tous ces fonctionnaires appliqués avaient surtout l’air complètement habitués et aucun ne s’est soucié de ce qui se passait. C’est ce qui nous fait dire avec mes proches que la police m’a traité comme elle gère généralement les galériens qu’elle capture dans ce quartier.

Le poulailler reste un palais doré pour le coq, malgré la puanteur des lieux

Apparemment persuadés qu’ils seront couverts par la Justice, deux d’entre eux, ont donc aussi porté plainte contre moi. Ce n’est pas une faveur particulière, mais une habitude encore une fois. Pour se couvrir lorsqu’ils ont défoncé quelqu’un, ils portent plainte et peuvent même récupérer des indemnités à la personne sur laquelle ils se ont pu se fouler la matraque.

Dans mon cas, l’un de ces héros du roman national a déclaré que j’avais fait mal au dos à son collègue pendant qu’ils m’écrasaient à trois sur le béton. Pourtant le collègue déclare s’être fait un lumbago tout seul en me menottant. Pour deux d’entre eux, j’aurais refusé un contrôle d’identité puis ils auraient dû me mettre au sol, mais pour le troisième, leur équipe n’a en fait jamais cherché à contrôler mon identité et celui-ci m’aurait arrêté alors que je m’enfuyais, en « me posant la main sur l’épaule ». Deux m’accusent d’avoir mis un coup de pied dans le tibias d’un troisième qui ne l’évoquera jamais. Aucun ne s’est présenté à la médecine légale pour faire constater une quelconque blessure. L’un a quand même eu la judicieuse idée de déclarer que je me serais cogné la tête tout seul en me débattant par terre contre le béton. Mais un autre déclare n’avoir aucun souvenir de m’avoir vu blessé avant de m’emmener au commissariat. L’un m’accuse même d’avoir été violent avec des infirmières dans l’ambulance qui m’emmena à l’hôpital pour justifier qu’ils m’y ont laissé attaché et sanglé, alors que ces dernières démentent complètement et se souviennent surtout que je criais de douleurs et que je demandais qu’on desserre les bracelets.

Ces policiers peuvent se permettre de déclarer tout et n’importe quoi, sans même vérifier entre eux la concordance de leurs mises en scène, parce qu’ils savent que cela suffit généralement à les couvrir. (...)

Dans la nuit du 7 au 8 août 2016, un homme dont ni la police ni les médias n’ont voulu livré le nom, a été retrouvé mort, le crâne fracassé, dans une cellule de ce même commissariat. Les médias dominants, comme toujours, ont servi la version policière et commencé par dire qu’il était tombé plusieurs fois sur la tête avant d’être « recueilli » par la police municipale qui l’avait emmené au commissariat central. Sûrement pour le soigner et parce que les hôpitaux ne sont plus très sûrs de nos jours. Une autopsie réalisée le 8 août révèle une fracture du crâne « vraisemblablement à l’origine de la mort », puis un complément d’autopsie rendu le 9 aout ajoute une « importante hémorragie intra-crânienne » et quatre côtes cassées. Selon le Parquet, les vidéos de la caméra dans la cellule de dégrisement « n’indiquent aucune trace de violences, de rébellions, ou de quelconques complications ». Un médecin avait aussi validé la mise en cellule et il faudrait donc envisager « l’intervention d’un tiers avant son admission au commissariat » selon les flics et leur Dépêche. Dans mon cas, les condés m’avaient cogné la tête dans le couloir central et m’y avaient laissé étalé, menotté les mains dans le dos, face contre carrelage sans jamais m’amener jusqu’en cellule. Vue la banalisation de cette technique de défoulement policier au commissariat de l’Embouchure, il est possible qu’elle ait été employée contre cet homme. Et s’il lui a été fait quoi que ce soit dans ce commissariat, comme dans mon cas, on peut être sûr qu’aucun fonctionnaire ne s’en est inquiété. (...)

Les violences et crimes policiers ne sont pas des « bavures » mais le fonctionnement normal d’un système d’oppression chargé de protéger une société inégalitaire.

Ils voulaient nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines (...)

Nos luttes rendent éternels les disparus ; paix, force et courage à tous leurs proches. (...)

les dominants ont trop besoin de la violence des flics pour reproduire leur pillage industriel des peuples et de la planète. Parce qu’ils ont absolument besoin de maintenir les classes les plus pauvres écrasées et ségréguées. Parce qu’il leur faut nous diviser, soumettre nos luttes et détruire les formes de vie insoumises qui émergent partout autour du monde. Parce que le patriarcat, la suprématie blanche et tous les systèmes de privilèges collaborent en s’appuyant aussi sur la domination policière.

Leurs tribunaux sont des champs de bataille où nous continuerons à combattre parce que nous n’avons pas le luxe de pouvoir les laisser gérer tranquillement le business de l’asservissement. Des comités vérité et justice et des comités anti-répression continuent à se développer, et travaillent de plus en plus régulièrement ensemble. A l’horizon, un réseau d’entraide et d’auto-défense populaire commence à s’esquisser. Il pourrait mettre en liens et appuyer la construction, en ville comme à la campagne de différents moyens de résistance collective indépendants : des groupes de veille et de contre-enquête sur les forces de l’ordre et les institutions en charge du contrôle et de la guerre, des observatoires et des auto-médias indépendants pour diffuser la contre-information, des caisses de solidarité pour subvenir à tous les coûts de ces luttes, des moyens juridiques (listes d’avocats et de juristes compétents et compatibles avec ces luttes, archivage des affaires précédentes dans la région…), des lieux de vie et d’organisation, des moyens de formation collective (brochures, sites web, émissions de radio, info-kiosks…), des moyens de rencontre, de mobilisation et d’action… (...)

On entend le fracas des arbres qui tombent, mais pas le murmure de la forêt qui pousse

Dans nombre de cités, à différentes époques, des habitant.e.s se sont rendu.e.s capables de s’associer pour dissuader ces milices assermentées de venir y chasser. Et pour se faire justice. Partout déjà, nous sommes habitué.e.s à surveiller la police, à la filmer, à publier les videos. Nous sommes les « spécialistes » de nos territoires et nous savons mieux que quiconque, comment protéger nos communautés. Organisons l’autodéfense populaire et appuyons les collectifs militants de quartier qui résistent au quotidien. Mais gardons à l’esprit que ce carnage n’aura pas de fin tant que nous ne pourrons pas nous passer de l’Etat et de son monde. Car tout cela repose aussi sur notre aliénation. (...)

Comme un proverbe populaire, chaque situation renferme les possibles auxquels on veut bien croire. Alors puisque personne d’autre que nous-mêmes ne risque de le faire à notre place, commençons par croire en nous et en notre capacité d’associer la diversité de nos tactiques, de nos techniques et de nos pratiques, de nos idées, de nos communautés et de nos territoires, de nos volontés et de nos puissances.

Le plus important, c’est pas la chute ni l’atterrissage

mais la manière dont on se relève

Lire aussi : Mathieu Rigouste : « la police est là pour maintenir l’ordre économique »