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La mer Rouge en danger de mort
Article mis en ligne le 16 juillet 2020

Un tanker empli de plus d’un million de barils de pétrole a été pratiquement laissé à l’abandon depuis le début de la guerre au Yémen, il y a cinq ans. Il pourrait sombrer à tout moment

L’autre jour, l’eau est entrée en trombe dans la salle des machines, menaçant d’envoyer le navire par le fond. Auparavant, c’était un appareillage entier qui, rongé par la rouille, s’était détaché du pétrolier avant de tomber dans l’eau et de manquer de peu le pipeline auquel il est relié : lui-même est empli de millions de litres de pétrole, et il aurait pu se briser aussitôt sous le choc.

Stationné en mer Rouge, au large des côtes yéménites, le pétrolier Safer est littéralement en train de tomber en morceaux. Servant à entreposer le brut acheminé par un pipeline sous-marin long de sept kilomètres, ce tanker est âgé de 45 ans et aurait dû partir à la casse il y a déjà deux bonnes décennies. Or ses réservoirs sont pleins de quelque 1,14 million de barils de pétrole. Si son contenu venait à se répandre en mer Rouge, la planète ferait face à l’une des plus sévères catastrophes écologiques de tous les temps.

Aucune opération de maintenance (...)

Au large du port du terminal pétrolier de Ras Isa, au nord de la ville de Hodeida désormais contrôlée par les rebelles houthistes, les activités ont cessé depuis lors. Voilà plus de cinq ans que le Safer n’a pas connu la moindre opération de maintenance tandis que la corrosion – très importante ici du fait du sel et de la chaleur – ne cesse de poursuivre son œuvre.

Alors que les appels se multiplient depuis deux ans, la menace est devenue si grande que le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir ce mercredi à New York pour débattre de la question. « Nous sommes dans l’incapacité d’agir depuis des années », note Jens Laerke, porte-parole du Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). Le responsable confirme au Temps qu’une équipe technique d’experts, embauchés par les Nations unies, est d’ores et déjà prête à se rendre sur place afin d’évaluer les dégâts et, peut-être, de procéder aux premières réparations d’urgence. « Les Houthistes nous ont officiellement communiqué qu’ils donnaient leur accord à cette mission », poursuit le porte-parole. Une condition absolument indispensable dans ce pays en guerre : « Une fois sur place, cette équipe ne disposera d’aucune autre protection. Cela reste risqué, mais ces techniciens sont prêts à partir immédiatement. » Des rumeurs insistantes parlent de charges explosives disposées autour du navire, et peut-être même à son bord. (...)

pour les Houthistes, l’importance que revêt ce pétrolier ne s’arrête pas là. Luttant contre une coalition internationale menée par l’Arabie saoudite, et soutenue par les Etats-Unis, ils peinent à trouver la moindre reconnaissance internationale. Le tanker et les risques environnementaux qu’il fait planer sont devenus pour eux une monnaie d’échange dans une éventuelle négociation. « Leur but ultime est plus large. Il consiste à intégrer leur pétrole dans le système international et donc à être légitimés internationalement. Mais les Saoudiens ne l’accepteront jamais », note un interlocuteur proche de ce théâtre d’opérations.
Une catastrophe environnementale doublée d’une catastrophe humanitaire

Alors que le territoire qu’ils contrôlent est soumis à un implacable embargo (les voitures s’alignent par centaines à chaque station d’essence de la capitale Sanaa…), les Houthistes sont décidés à ne rien lâcher. (...)

Aux centaines de milliers d’oiseaux et de poissons menacés s’ajoute la perspective d’une catastrophe aux dimensions incalculables pour un Yémen déjà exsangue. Plus de 100 000 familles vivent de la pêche, et s’ajouteraient aussi les risques pour les usines de désalinisation d’eau, qui sont souvent le seul moyen d’obtenir de l’eau potable. Le pays importe pratiquement tous les biens de l’extérieur, or les eaux côtières deviendraient certainement impraticables. (...)

Les derniers récifs de corail (...)

« A l’inverse des récifs de corail d’Australie ou des Caraïbes, ils peuvent encore survivre à une augmentation de température de 2 ou 3 degrés. Mais à condition bien sûr qu’ils soient à l’abri de graves pollutions locales. »

Comprenant combien les conséquences seraient dramatiques pour eux aussi, des pays riverains (Egypte, Jordanie, Arabie saoudite, Soudan) se sont joints au gouvernement yéménite reconnu internationalement pour demander des mesures urgentes au Conseil de sécurité de l’ONU. (...)

Les camps restent donc irréconciliables et, pendant ce temps, la corrosion progresse.