
Faut-il Zader le Grand Paris, comme Paul Delouvrier dans les années 1960, pour en finir avec la spéculation immobilière ? Alors que le prix moyen du mètre carré à Paris est de 10 000€, c’est l’ensemble de l’agglomération parisienne qui est victime des investisseurs. Ses quartiers populaires se gentrifient, repoussant lentement et toujours plus loin les populations les plus fragiles...
Le mot “Gentrification” vient de l’anglais “gentry” noblesse sans titre, lui-même issu du français “genterie”, de gent l’ancien singulier de gens, du latin gens, gentis. Il pourrait aussi se traduire par un “gentil embourgeoisement des quartiers populaires”, si cet embourgeoisement n’était en réalité ni gentil, ni bobo, ni bohème. Le phénomène de gentrification n’est pas nouveau, il côtoie aujourd’hui le processus de métropolisation, tous deux tiennent de la libéralisation de l’économie, la dérégulation du foncier. La métropole du Grand Paris n’y échappe pas. Ce mois-ci s’ouvre le Campus universitaire Condorcet à Aubervilliers, rassemblant une dizaine de grandes écoles et d’universités quittant le centre de la capitale. Avec elles s’annoncent la transformation des quartiers alentours et l’arrivée progressive d’une population d’étudiants et de chercheurs dans les logements encore abordables en Seine-Saint-Denis, écartant les populations fragiles qui y vivent. Prises dans ce processus de gentrification, celles-ci sont repoussées toujours plus loin, loin des centres, des équipements, des bassins d’emplois… accentuant ainsi les inégalités, la ségrégation sociale et le sentiment de déclassement.
“ Etre pauvre à Paris, c’est être pauvre deux fois. ” écrit Emile Zola dans La Curée (1872). La maxime demeure d’actualité (...)
D’un côté, 15,6 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en Île-de-France, et le nombre de ménages concerné par les loyers impayés a bondi de 23% entre 2006 et 2013. De l’autre, 20 à 25% des logements du centre de Paris ont été transformés en résidence secondaire ou en location touristiques de courte durée. De plus, le Brexit, avec le retour des expatriés, produit une pression nouvelle sur la ville. (Londres, avec 350 000 français serait la 5e ville tricolore)
La gentrification des quartiers populaires signifie l’exclusion des populations les plus fragiles, jeunes et retraités, immigrés, travailleurs précaires, familles monoparentales, sans diplôme ou sans papiers, adultes handicapés, familles nombreuses… (...)
La gentrification comme la métropolisation de l’agglomération parisienne n’est ni une fatalité, ni une évolution “ naturelle ” de la ville. Pour y pallier, peut-on remettre en cause la politique d’attractivité de la Métropole Parisienne ? L’immobilier et le foncier doivent-il être régit par l’offre et la demande ? Comment réguler la pression du libre marché sur le logement ? En bref, comment éviter la gentrification d’une Métropole qui ne fait qu’ajouter des inégalités à la pauvreté ?
Des “ jours heureux ” à la “ Métropole attractive ”
La construction de la Métropole du Grand Paris est un renversement complet de la politique d’après-guerre, la recherche de l’intérêt général, inspirée par le programme du Conseil national de la résistance, il y a 75 ans. Adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944, le programme des “ jours heureux ” donnait de l’élan “ pour mobiliser les ressources immenses d’énergie du peuple français, pour les diriger vers l’action salvatrice dans l’union de toutes les volontés". Entre 1944 et 1952, dans un pacte politique entre les gaullistes et les communistes, le programme se mettait en place avec la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes de retraite, l’amélioration des systèmes d’éducation et de santé, etc. Ce projet a permis de créer de l’abondance, de la prodigalité, de construire une société plus égalitaire et de servir l’intérêt général. (...)
Le démantèlement du programme des “ jours heureux ” a commencé avec la libéralisation de l’économie, la dérégulation financière, la mondialisation, et la désindustrialisation des métropoles européennes. Depuis 30 ans, la spéculation et la domination du capitalisme financier ont remis les intérêts particuliers au-dessus du bien commun, les profits à court terme au-dessus de la générosité prévoyante et visionnaire d’une génération de Résistants. (...)
A travers le processus de Métropolisation, nous assistons, à l’affaiblissement des collectivités au profit du secteur privé, à la destruction méthodique de la démocratie locale au profit d’une gouvernance métropolitaine et d’un développement urbain privatisé. Tout comme la dislocation des services publics au profit du secteur privé (éducation, santé, assurance vieillesse, transport, communication…) cet urbanisme privé est plus coûteux pour la population et donc moins égalitaire.
La dérégulation et la spéculation foncière signent la fin de la recherche d’égalité et de progrès partagés par tous. (...)
Dans ce contexte, les Métropoles ne sont plus gouvernées démocratiquement par et pour leur citoyens mais sont gérées comme des entreprises privées et leur territoire mondialisé sacrifie le bien-être de leurs habitants, leur préférant l’attractivité, le développement et la croissance. Comme système privé, elles sont prises dans la course à la concurrence, et menacées de faillite ou d’effondrement si elles refusent de prendre part à cette compétition mondiale. Alors commence la course folle au marketing urbain, aux pseudo-innovations, à la compétitivité… (...)